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jeanneovertheworld - Page 16

  • en boule

    sans bras 2.JPGElle attend là,

    toute recroquevillée,

    au coin du monde,

    la femme sans bras.

     

    Sont-ils tombés faute d'enfant à serrer, ou l'incapacité à soutenir a-t-elle dissuadé les petits de venir ?

    On ne sait pas, on ne saura jamais.

    Elle est là,

    toute recroquevillée,

    impuissante.

    Elle fait le dos rond, elle s'enroule pour que tout tourne rond, pour que tout coule, mais c'est elle qui tourne en rond et le temps qui s'écoule.

    Elle aimerait qu'on l'oublie.

    Qu’elle s'oublie.

    Ou plutôt qu'elle se trouve, au fond de ses entrailles vides, qu'elle devienne, qu'elle s'enfante enfin en coupant les cordons sans renier les liens.

    Qu’elle marche seule, qu'elle marche saoul, ivre d'elle.

    Mais là, elle se ferme, la femme sans bras, elle enferme le mal, tenter de l'étouffer.

    Et se taire.

    Elle se terre.

     

    sans bras 3.JPGElle se ferme mais on ne peut pas ne pas le voir : son sexe béant, son sexe fendu, ouvert, aux lèvres supplicantes.

    Elle se referme pour qu'on ne le voit pas.

    Et si elle voulait qu'on la voie, en boule, qu'on l'ouvre comme une huitre dont on chercherait la perle ?

    Non, elle est vide.

     

    Elle ne voit que cela, la tête baissée : son sexe qui vit alors qu'elle aimerait tant exister sans lui, son sexe qui souligne son inutilité par des larmes de sang, récurrentes, accusantes, menstruelles, monstrueuses.

     

    sans bras 1.JPGElle le regarde encore plus étrangement,

    son sexe,

    depuis qu'il pleut,

    depuis qu'il pleure,

    comme s'il ne savait pas comment faire pour hurler plus fort, risque majeur d'inondation lorsque se secouent les corps. Il ne sait plus très bien ce qu'il est, entre le féminin et le masculin, à cracher ainsi.

    Il dégueule, il dégouline.

    Il déverse ses tripes sur le sol, il redonne à la terre ce qu'elle ne lui a pas donné, un jus transparent, qui existe à peine, qui la dessèche, qui la met en peine.

     

     

    Peut-être lui a-t-on ôté les bras, qu'elle ne vienne pas chahuter son sexe, qu'elle le laisse orphelin et inaccessible.

    Peut-être lui a-t-on ôté les bras pour qu'elle ne s'ôte pas la vie.

    Sculpture de Jeanne Magnani.

  • les Haïkus de Barbara

    IMG01317-20110604-0002.jpgSang toi

    La Vie

    Sans Va

    L’Amor

    Amer

    La mort

    La mère

    Une goutte

    Une larme

    Nett.

     

     

     

    lilas.jpg

     

     

    Les lilas en fleurs

    A Ensisheim

    Resserrent le cœur

    Des femmes

     

     

     

     

      

     

    south dakota 2.JPG

    south dakota 1.JPG

     

     

     Sans éther

    Minée

    Sans éther

    Nue ment

    Sans éther

    Ni taie

    L’éternité

    Sans éther

    Mis nus.

     

     

     

     

     CIMG1442b.JPG

     

    Lundi et l’autre pas

    Je dis et vautre là

    L’envie et l’autre va

    Ventre bis au trépas

     

     

     

     

     

    londres nuit.JPGDénis des vœux

    Bénis de Dieu

    Le vice à deux

    Le Vie, aveu

    Le lit à deux

    Délit des cieux

    Délicieux …

  • Père de la tradition

    (Librement inspiré de personnes pouvant exister)

    Je me demande ce que cela fait, je me demande ce qu’il ressent, le grand homme, l’homme grand qui vient de perdre son père.

    Je ne sais pas si je perdrai un jour le mien, ou si c’est lui qui me perdra avant, je me fais croire, depuis trois ans, que je suis prête à ma fin.

    Mais lui, le roseau qui penche et ne cède pas,  le roseau qui pense, il ressent quoi ?

    Je n’oserai jamais lui demander. Comment rester profonde et légère, comment se rapprocher d’un quasi-inconnu sans souligner notre méconnaissance avec maladresse. Présenter ses condoléances, c’est trop con : convenu, consensuel, si compliqué aussi.

     

    Comment tu vas ? Ou plutôt... où tu vas ?

     

    Il fallait bien cela, à l’homme à la vie de roman, à l’homme aux mille vies qui courrait sans cesse après la sienne.

    palabres.jpgQu’est-ce qu’il peut ressentir pour ce père, qui aima des femmes, sa mère et des autres, qui eu des fils, lui et les autres et s’accrocha, à lui plus qu’aux autres. Il avait reçu de son père son prénom collé par un tiret à celui de l’apôtre, le voyageur, le premier missionnaire.

    Ce père qui l’inscrivit dans une lignée, ce père qui lui confia tout un monde, une mission, un destin en disant que c’était le Père, plus haut qui en avait décidé ainsi et ses pairs aussi, ici bas.

    Et le petit enfant est parti, arraché à sa mère, il n’aura de cesse que de chercher à téter encore le sein des femmes pour retrouver cette douceur et cesser d’avoir froid.

    Et le petit enfant a grandi, loin des siens.

    Il a cru, on lui a dit, il a vu, a poussé un cri. C’est lui qu’il voulait réveiller, l’homme qu’il voulait être, pas celui qu’on voulait qu’il soit.

    Mais il ne pouvait pas échapper à lui, à chaque fois qu’il croisait un miroir, à chaque fois qu’il se voyait dans les yeux des autres, tout lui revenait à la figure comme une gifle énorme qui ne parvenait jamais à lui rosir le teint. Alors, à défaut de savoir où tout cela pouvait le mener, il s’est accroché à ce dont il était sûr : d’où il venait. En réalisant son devoir, il devenait cet homme que tout le monde croit connaître, avec ses images d’Epinal du Sud, ce que les gens voyaient, ce que les gens disaient, ce que les gens imaginaient.

    Même ces lignes sont si loin de sa réalité…

     

    Moi je le vois, comme un héros de roman, vivant, ses défauts ne sont là que pour faire croire que c’est un humain ordinaire. Je me fais croire que je le vois quand d'autres ne font que le regarder.

    4.JPGIl répète bibliquement «  laisse les morts enterrer leurs morts » mais retournera rougir ses semelles sur la latérite pour accompagner ce père-là, rejoindre son grand-père et le père de son grand-père.

    Moi je pense au fils tour à tour modèle et prodige, à la fois l’ainé et l’unique. Ce père qui n’était plus son père depuis longtemps, juste un phare, pour se rappeler qu’il y avait la mer ici, avant. Un vestige d’une simplicité qui lui est depuis longtemps étrangère. Un père qui n’était qu’un homme, un homme d’un autre temps, d’un autre continent. Un homme qui ne pouvait pas entendre ses interrogations, un homme qui ne pouvait pas les comprendre, qui ne pouvait plus le comprendre. Mais qui restait son père…

     

    Et le père est parti, laissant l’Aîné Devenir.

     

    Je me demande à quoi tu penses, entre la douleur et le soulagement, entre la peur et le vertige, entre la tristesse et l’ivresse, entre toi et toi…

    Tant de clichés, de larmes supposées, de figures imposées.

     

    Impuissante, étrangère, je dépose en songe un baiser sur tes lèvres de nuage…

     

    .

  • le bel homme et la mer

    Il s’appelait Jean, comme le Baptiste, d’ailleurs si on regarde Depret, c’est ce qu’il y avait noté, à l’état civil.

    C’était un colosse.

    La légende raconte qu’il était boxeur. Je l’imagine à la Marcel Cerdan, avec son torse légèrement velu et sa cage thoracique si développée. boxe Amandine MERMINOD.jpgComme un gladiateur dans l’arène. La sueur au front et le sang à la bouche. Et quand il eut planté sa graine dans le ventre de la belle du bal, il cessa ce combat, parce qu’elle lui avait demandé, parce que son cœur se soulevait quand elle le voyait au sol, parce qu’elle avait besoin de lui encore, parce qu’elle le voulait père et mari.

    Alors il est rentré dans le rang, il est descendu au fond. Gueule noire comme un héros de Zola, force de la nature qui arrachait à la terre son charbon, donnant sa sueur pour gagner son pain blanc, respirer les poussières qui allaient silicoser son corps.

    Il s’appelait jean comme le Baptiste. Il est né dans le Nord, il est né dans les terres.

    Il l’a suivie au bal, sa belle, il l’a volée au bon valseur, le rentier en costume, lui qui ne dansait pas si bien. 62-Mericourt-cite_cheminots.jpgDès le premier soir, il lui a dit qu’elle serait sa femme. Il y avait entre eux quelque chose qui ressemble au destin. Elle n’a pas pu dire non, il ne lui refusait jamais rien. C'était juste après la guerre, ils ont trouvé la paix.

    Elle était fille de cheminot, elle était fille de Théodule.

    L’été elle allait à la mer, en train, sur la plage de Malo manger des moules…des moules et puis des frites, au vinaigre.

    Cet été là, elle y est allée avec lui, lui le Baptiste qui n’avait jamais vu la mer.

    Je les vois bien descendre du train. Elle portait une robe légère de nylon imprimé. Lui, un pantalon de toile claire et une chemise légère. Je les vois avancer, avenue de la mer. Et lui qui sent déjà quelque chose mais ne voit rien, juste une route qui semble ne pas avoir de fin et des magasins qui vendent des bouées gonflables.

    Ils arrivent sur la plage et il se tait, l’homme qui n’avait jamais vu la mer.

    malo bray dunes.jpg

     

    Colosse au pied d’argile, il avance hésitant sur le sable qui se dérobe un peu sous lui. Corps de pierre au cœur mou, il hésite en voyant l’immensité, perturbé de ce monde qui s’ouvre vers un infini qu’on devine à peine, perturbé par cet univers qui lui était inconnu, apeuré, oui.

    Elle court sur le sable, rit à gorge déployée. Il a moins peur avec elle à ses côtés. Il se sent bête et feint l’assurance. Elle voit bien qu’il hésite, elle ne dit rien, elle l’aime tant, déjà.

     

    Et ils sont revenus, le lendemain.

    La mer était partie au loin.

    Il n’a pas compris.

    L’homme qui n’avait jamais vu la mer…

     

    Cet homme si fort, cet homme si faible, c’était mon grand-père…

     

    .

  • l'homme aux Nymphéas

    Il l’avait déflorée à 20 ans, il y a vingt-ans. Du temps des lettres qui prennent le temps. L’action après les tentations, l’attente, toutes les tentatives, détentes, lascive, tenter sans se lasser, s’enlacer tant et tant. Dans l’ombre ou dans la lumière, paravent ou par derrière, le huis-clos, les oui plus hauts, les yeux ouverts. Ils écrivirent l’histoire qu’ils voulaient vivre, l’histoire d’une femme de chambre, d’un homme de chambre, dans le secret et en totale liberté où le seul extrême était la Vérité de leurs êtres, ils osèrent, ils furent.

    Jusqu’à ce que vienne le temps de vivre sa vraie vie après avoir suivi toutes ces envies, une vie si ordinaire qu’elle en devient extraordinaire, de quotidien qui fait du bien, une vie que l’on voit, une vie où l’on court pour rattraper un modèle, concept du bonheur, travail, famille, patrie sans heurt.

    Et ils étaient bien, dans leur aveuglement volontaire, à essayer de faire leur la vie qu’ils avaient imaginée.

    2.JPGElle pensait parfois à lui, comme une vague un peu plus forte, une grande marée.

    oeilv1.JPGIl n’a pas oublié l’ivresse de la liberté et l’intensité de ce vécu unique avec elle.

    Les grandes marées la chatouillaient trop, érodaient ses souvenirs, rouvraient la plaie de sa défloraison d’exception. Déraison. Déraillé. De la raie. Arrêtée.

    Le goût de la liberté lui piquait la langue, il eut peur de devenir vieux, de mourir sec.

    Ils se sont retrouvés au temps des mails qui vont vite, ont dit vit. Hésite. Est-ce que le souvenir mérite que l’on tue le désir confus. Con fusion. Faut-il se contenter de vivre puisque revivre est impossible. Peut-on se contenter de ce qu’on est lorsqu’on a tant été. Le virtuel présent ravivait les couleurs du passé réel sans qu’on sache si sans qu’on cache on pourra conjurer et conjuguer au futur. Alors ils furent lâches. Prise la décision du rien.

    Elle a voulu tuer le désir de lui, ne plus l’attendre. Il voulait la garder dans son monde fantasmatique.

    nymphéas.JPGElle lui a menti, il est venu à l’Orangerie.

    Avec un joli travelling. Elle reprend son souffle avant d’entrer dans la pièce principale ; la caméra perçoit cette fraction de seconde où il la reconnaît.

    20 ans…

    Le rien, ça se consomme vite. Mais elle voulait cela, pour ne plus se consumer.

    Ils se sont quittés dans le silence d’un regard. Avec au fond d‘eux la douce certitude du vécu.

    Et ils ont repris leur vie, celle qu’ils avaient imaginée, concept du bonheur, sans heurt, avec en plus un sourire aux lèvres parfois le soir.

     

    Je suis allée à Londres récemment.

    Marcher dans les rues, monter dans les bus rouges, commander une bière dans les pubs, vivre en souriant au soleil, vivre avec ta main dans la mienne.

    Quelques musées.

    Le Tate Modern, œuvres dans une usine électrique. Au détour d’un couloir blanc, juste avant de sortir, pas du tout mis en valeur, presque incongru au milieu des créations abstraites, il m’est apparu.

    tate.jpg

     

    Ce tableau de Claude Monet.

    Water-Lilies.

    No lies.

    La vérité c’est quoi ?

    Pierre restera toujours l’homme aux Nymphéas.

     

     

    J’aime le film et j’aime l’histoire.

    Apaisée je le garde dans mon musée, pièce maitresse, fondation, essentielle, l’essence de mon ciel, encense elle, ses sens, LE sens. Qui m’indique la sortie.

     

    Et je quitte le musée, ta main dans la mienne.

     

     

     

     

     

  • coming out

    Les relations virtuelles des réseaux sociaux sont souvent décrites comme superficielles, futiles.

    logo facebook.jpgCela offre cependant une grande liberté : on peut se réinventer une vie, prendre un nouveau nom, devenir une autre.

    Je dis parfois que cette autre est aussi soi, lorsqu’on n’a pas peur de la schizophrénie. Débarrassé du jugement, débarrassé du regard  d’une société formatée, un pseudo et l’on n’est plus la fille de…, un pseudo et l’on n’est plus la femme de…, on peut donc être…

    On peut mettre une photo qui ne serait pas la nôtre, ou ne pas en mettre du tout, ne plus avoir d’image…

    Certains s’inventent, d’autres deviennent et sont.

    Dans l’ombre peut-être, mais ils sont.

     

    Dans ce contexte on m’a récemment posé une question fondamentale.

    Personne ne me l’avait jamais demandé et moi-même je m’étais laissée aveuglée par un faisceau d’évidences et ne m’étais jamais interrogée là-dessus…

    Un homme qui ne me connaissait pas, que je ne connaissais pas, m’a demandé : « est-ce que tu es noire ? »

    C’est idiot cette question, on n’interroge jamais les gens sur leur couleur, ça se voit, on devine et on tient ce que l’on voit pour acquis. L’essence par le regard.

    Dès la naissance, par lignée, on nous  met donc dans une case de couleur, devenant par là responsable d’une histoire, héritiers involontaires d’un peuple auquel on nous assure que l’on appartient.

    Ça permet de se définir, mais le formatage commence.

    Je suis née en Europe de parents blancs. J’ai dans mes veines l’histoire de mes aïeux, faite de charbon et de changements de nationalité au gré des guerres, toujours à la frontière, au bord d’un monde, à quelques secondes d’un autre possible.

    Citoyenne du monde.

    Je ne me suis jamais posé la question, mais…

     

    Et si j’étais noire ?

    Et si j’étais noire, sans le savoir, sans même que cela se voit ?

     

    J’ai aimé la question en me demandant quel indice dans mon comportement lui avait laissé croire que je l’étais.

    J’ai joué avec les mots en disant que je suis « noire très pal ».

    Mais j’ai fini par me poser réellement cette question surréaliste.

    Moi qui culpabilise de mon attrait pour les Juifs et les Noirs, ce crédit, cette attention toute particulière que je considère parfois comme malsaine tellement elle est ancrée, pensant à une sorte de déviance aussi grave que les extrémismes, pro-sémites contre antisémites, Black Power contre Ku Klux Klan……

    masque fang.JPGEt si tout cela n’était qu’animal, dans mon sang, un gène venu d’ailleurs, un lien viscéral à ces peuples que l’évidence pourtant définit comme différents de moi ?

    L’Afrique de mon enfance est pleine de photos d’enfants, d'actions plus humaines qu’humanitaires, un camarade à l’école que l’on regarde autrement et que j’aime tout de suite, moi qui ne me sentais déjà pas comme les autres.

    L’Afrique de Jeanne étudiante est pleine de couleurs, de cris et de larmes, loin des images d’Epinal au fil des cours à la faculté de géographie. Jusqu’à devenir « maitresse es ».

    L’Afrique adulte grandit en moi, et je fais ta connaissance, et tu m’en parles, de ta vie là-bas. Il y a cette étincelle dans tes yeux quand tu y repars en songes. Et tous ces amis, et toutes nos lectures, et mes petits plats, et notre salon, et…

     

    noir et blanc mains soft.JPG 

     

    Tout devient plus simple,

    paradoxalement.

    Il me suffisait de le voir :

    JE SUIS NOIRE.

     

     

     

     

     

    ours kermode.jpg

    Il est en Colombie Britannique un ours noir, tout blanc.

    L’ours Kermode.

    Il n’est pas albinos, non, il est noir dedans et blanc dehors… On le surnomme aussi l'ours esprit, une légende dit : "lors du retrait des glaces, le corbeau créateur a survolé les riches forêts pluviales de la côte s'arrêtant sur une île habitée par les ours noirs ; le corbeau a blanchi le pelage de chaque dixième ours sur son passage. Ces ours blancs sont à jamais la mémoire du début des temps".

     

    L'esprit noir et blanc,

    mémoire du début des temps,

    universalité,

    humanité.

     

    Osons être.

     

     

    .

  • Longitudinale

    J’ai déjà suivi bien des lignes, suis sortie du droit chemin, ai même flirté avec l’au-delà, moi, la border line.

    Je suis profondément géographe, ce n’est pas nouveau, mais comment vous dire…

     

    Il n’est d’ivresse à perdre le Nord que quand on sait où il se trouve, aussi invisible soit-il.

    Il n’est de vertige que lorsqu’on a conscience de la hauteur, même les yeux fermés.

    Et le symbolisme est un voyage imaginaire pour lequel j’ai un passeport perpétuel.

     Greenwich nuit.jpg

    Alors… aller à Greenwich…

     

    Remonter l’histoire des hommes qui tentent de redessiner la Terre,

    rejoindre l’endroit où les hommes ont voulu faire leur le monde infini,

    se placer pile à l’endroit où tout commence, où tout finit : les heures, les minutes, les secondes et les milliards d’humains qui se calent et se décalent, qui avancent leur montres et les reculent en passant les lignes,

    se trouver à l’endroit du choix absolu : Est ou Ouest en un pas…

    greenwich.JPGmettre mes pieds de chaque côté et ressentir le monde entre mes jambes,

    me tenir bien droite à la surface du globe, lancer mon regard au loin et me dire : "je suis vivante",

    emplir mes poumons et respirer un concentré d’univers en une folle bouffée d’air.

     

    Aller à Greenwich….

     

    Ce ne sont pas mes pieds sur la photo. Je suis arrivée trop tard, l’observatoire du haut de la colline était fermé.

    Alors j’avoue : j’ai triché, j’ai photographié une photo de pieds pour ce post.

     

    Mais témoigner de ce moment, ça, aucun musée fermé ne m’en empêchera.

     

    Tu m’as suivie sans chercher à comprendre, il fallait faire vite avant le dernier ferry.

    Je suis montée sur la colline.

    J’y étais.

    C’est moi qui ai vécu.

    Et qu’importe si je n’avais pas mes pieds sur  la ligne créée pour les touristes.

    J’étais sur le méridien,

    j’ai marché sur l’impalpable, parcouru l’origine, foulé le début du monde.

     

    Et j’ai aimé.

    greenwich mer.JPG

     

    On quitte Greenwich par le fleuve comme on prend la mer.

    On devient border line, à zéro degré et quelques secondes.

    On quitte Greenwich et tout peut commencer.

     

     

  • La fille qui attend dans le brouillard

     Pour moi, ce ne fut qu’un moment évident de ma vie, mais tu as été surpris…

     

    Nous étions montés à la Jungfrau, un sommet des Alpes suisses, une succession de trains à crémaillères nous avait menés à 3454 mètres d’altitude.

    jungfrau 1.JPG

     

    Au bout du tunnel, une petite ville souterraine nous offrait quelques fenêtres sur le glacier, quelques points d’observation sur la beauté d’un monde si blanc et si grand.

     

    Par deux ouvertures, il est possible de marcher sur l'immaculé manteau, librement, emprunter des chemins balisés et damés, à l’abri des séracs sournois.

     

    Je voulais sortir, sentir le froid à mes joues, sentir le bout de mes doigts m’échapper un peu, quitte à le regretter après, les bouts rouges et gonflés à en éclater de vie.

    Tu m’as suivie sur le chemin du refuge.

    Mais le temps change si vite en montagne...

    Un nuage a épousé le sommet, nous plongeant dans la ouate, nous privant la vue.

     

    Et j’ai marché, doucement, sur le chemin blanc.

     

    jungfrau 2.JPGMalgré le nuage, la luminosité était presque insupportable, nous étions perdus dans le blanc, oppressés du rien, juste la neige tassée sous nos pieds et quelques piquets sur le chemin.

    Tu avançais derrière moi avec difficulté, la pente, le froid, mais surtout l’absence de but je crois. Il est vrai qu’avancer dans le brouillard ainsi ne rimait pas à grand-chose.

    Avancer oui, mais vers le rien, à quoi bon ?

    Je t’ai encouragé rassuré, je ne voulais pas rejoindre ce chalet, annoncé à 45 minutes de marche, je t’ai dis « juste encore un peu ».

    Et tu m’as suivi, aveuglé, aveuglément, en trainant derrière toi ton scepticisme, et cet excédent de cartésianisme que tu me reproches souvent.

    Je voyais bien que tu n’en pouvais plus, et je ne pouvais rien te promettre.

    Mais ce frais à mes poumons me faisait du bien, j’avais encore envie d’avancer, comme poussée, qu’importe si je n’avais pas la vue, il me fallait aller plus loin.

    Je t’ai dis « reste ici si tu veux, j’avance encore de deux piquets ».

    Guidée par les ombres sombres dans le brouillard, suivant le bord de la piste, j’ai donc avancé encore un peu.

     

    Puis je me suis arrêtée. Debout, droite, plantée vers l’aval.

    Et j’ai attendu, immobile.

     

    Intrigué, tu as finis par me rejoindre. Je t’ai juste dis « j’attends »... j’attends que le nuage passe.

    En riant je te demande si tu as le cell-phone de Dieu, pour que ça aille plus vite.

    Je reste debout, regard dans la ouate, sereine.

    Ça n’a pas duré dix minutes, mais probablement plus de cinq. Cinq minutes, c’est long quand on défie la raison.

    Je suis debout et je suis bien.

    La neige croustille sous mes pieds, l’air est frais à mes poumons mais je n’ai pas froid, les mains dans les poches. Décontractée, je suis debout face à l’immensité, je suis debout dans le brouillard, je ne suis pas dans le noir, je ne vois aucune lumière d’un tunnel, je suis juste quelque part, en attente.

     

    Je suis debout dans le brouillard et soudain….

     jugnfrau 3.JPG

     Tu es bluffé, je reste debout, sereine, émerveillée, mais pas surprise.

    J’avais confiance, je le savais, il fallait juste oser y croire, oser attendre et oser vivre !

     

    Nous reprenons le chemin fait dans le gris et à chaque instant nous émerveillons de ce que nous n’avions pas pu voir, c’est encore plus beau avec cet espoir fou, avec ce petit miracle qui a ôté pour nous le nuage. Nous pensons à cette famille française trop volubile qui avait fait demi-tour. Nous, nous  avons su voir.

     

    Ma foi en la Vie est  ainsi.

  • alitée

    La quiétude des lits d'hosto…

    hosto lit.JPGJ’avoue que je les aime.

    Sans doute car je n'ai pas vraiment souffert dans ma chaire, plus eu des bleus à la Vie que poussé des cris.

    Le lit d'hôpital pour moi est un endroit paisible, un endroit vide, un endroit calme.

    Et tant pis si je choque, pour moi, le lit d'hôpital est un sas entre la Vie et la Mort.

    Un endroit vide de peur aussi, juste une attente imprécise.

    Le temps n'a pas prise ou à peine, les rayons du soleil sont filtrés par le voile opaque des fenêtres.

    Plus rien de l'extérieur n'a d'importance, le travail a été laissé en plan, la lessive qu'il faut repasser, tout cela est devenu secondaire.

    Même les gens… les visites sont réduites, on est seul face à soi, on n'est rien, on est calme, tout petit en attendant que la Faucheuse nous oublie. Il y a des gens qui nous aiment, en dehors, qui pensent à nous, sûrement, qui ont mal, aussi, mais qui n’ont pas le droit de le dire. A côté du lit, il n’y a que des silences et des sourires, s’assurer d’une présence. Pour se retrouver seule, calme. Loin des yeux, dans le cœur, une chaleur.

    Plus rien de l'intérieur n'est vraiment maîtrisable, les infirmières passent quand elles veulent, quand elles peuvent, les examens nous sont faits sans qu'on en connaisse bien les résultats.

    Sur un lit d'hôpital on est que soi, un corps avec une âme.

    Sur un lit d’hôpital, on touche à l’essence, on atteint la vraie nudité.

    hosto plafond.JPG

     

    Je suis bien sur ce lit, je regarde le soleil jouer avec le plafond, j’imagine que la Terre tourne à l’extérieur, rien ne me l’indique à l’intérieur, ma vie est suspendue.

     

    J’aime m’allonger sur ces lits d’hôpitaux.

    Vide du monde, pleine de moi.

    Sereine.

    En paix.

     

     

  • Tatie Danièle

    Je supporte peu les discussions bien pensantes sur le cancer. Je devrais m'y faire, me blinder un peu plus, mais non, ça me donne toujours envie de vomir ou de pleurer, moins souvent de hurler.

    Ces gens qui supputent « je suppose qu'il faut être très fort dans sa tête»… C'est justement ces phrases qui me font craquer, pas les examens, pas la douleur : une sorte de compassion impossible, d'empathie illusoire. On est toujours tout seul et jamais personne ne pourra dire, juger, critiquer ou même commenter. Ou ces malades qui ne connaissent pas mon histoire, qui me répètent que c'est une saloperie, qu'on n'est jamais guéri et parfois même que j'ai "de la chance"...

    accroche.JPGJe me souviens d'une dame digne en apparence, snob, qui avait dépassé les 80 ans et fut amenée dans ma chambre à deux lits, dans un vieux service de dermatologie qui n'avait pas encore de chambres individuelles.

    Elle m'a saluée, puis ignorée.

    J’aurais bien fait de même mais impossible d'ignorer les visites des médecins, impossible de ne pas entendre ce qu'on lui annonce : « votre cancer est revenu ». Et de regarder un tout petit point noir qu'elle avait au mollet.

    Elle ne savait pas pourquoi moi j'étais là, elle savait à présent pourquoi elle, elle y était.

    Elle paraissait résignée, pas accablée, désireuse de partir rapidement de là, fuir sans doute, mourir en paix chez elle. Alors, trois minutes après l'annonce du verdict, elle essayait de reprendre les choses en main, de choisir sa vie alors que la maladie lui enlevait son futur, elle décréta "coupez-moi la jambe". Qu'on n'en parle plus. Éliminer le membre pour tuer le crabe. Dans sa maison de retraite confortable, étudiée pour laisser passer les fauteuils roulants, elle voyait déjà la fin de sa vie sur deux roues, avec une seule jambe, mais sans cancer.

    lit 2.JPGEt puis elle est partie dans un long monologue, je ne peux plus dire si elle s’adressait à moi, si elle parlait à une infirmière ou si elle lançait des mots en l'air comme ça, à l'heure de l'apéro-philo. Je me souviens bien de ses mots par contre qui m'ont plongée dans une colère contenue, qui m'ont blessée plus que tous les examens passés jusqu'alors...

    Elle disait:  " c'est une sale maladie vous savez... une vraie merde... mais moi je suis déjà vieille"…

    "Si j'avais eu ça à 30 ans, je me serais suicidée"

    J’étais dans le lit d'à côté, avec mes 35 ans, à vouloir vivre encore.

    Bien sur j'ai compris pourquoi elle disait ça, je suis certaine qu'à 30 ans, elle n'aurait jamais pensé cela, je sais bien... et pourtant, elle m'a tuée, cette mamie. Moral anéanti. Puis rage.

    Je ne sais pas si elle est encore en vie aujourd’hui.

    profil sourire fossatte.jpgTrois ans plus tard, j'entends encore ses mots.

    Je ne sais pas si elle vit encore.

    Moi oui.