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  • synchrone

    Sarah avait pris l’habitude d’écrire bien avant que les choses arrivent. C’est une fille qui anticipe, c’est sa manière d’avoir moins peur, de penser qu’elle maîtrise le monde, l’illusion d’un danger qui s’éloigne parce qu’on s’y est préparé.

    Elle avait écrit cette scène à l’avance parce qu’elle espérait la vivre au point que, quand elle s’est réalisée, elle a perdu pied, sa mémoire, submergée d’émotions, n’a pas archivé correctement ce moment. Écrire ce que l’on prévoit, c’est aussi chercher en soi ses désirs profonds, ouvrir les yeux sur nos failles.

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    Les corps se sont emmêlés sans défaire le lit, cinquante nuances de gris.

    Au moment de se quitter, elle a osé.

    Elle avoue à Paul son plus grand fantasme : qu’il la prenne dans ses bras et qu’il prononce son prénom. Finie la censure, c’est peut-être la dernière occasion de lui parler, il est là, devant elle, il ne faut rien regretter. Dans cette chambre sans la vue, il est prisonnier, il n’a pas d’autre choix que l’écouter. Elle ne veut rien garder pour plus tard. Elle s’est promis de vivre chaque jour comme si c’était le dernier et d’enchaîner les derniers, à l’infini. Elle ne se dit pas que c’est la dernière fois, elle ne se dit rien, elle vit, l’absolu, l’intense comme elle l’a toujours voulu. Sans retenue.

    Elle n’a pas d’âge, il n’y a pas de lendemain.

     

    Paul avance vers elle, ouvre ses bras et l’y enferme, presque maladroitement, et elle entend : Sarah… Sarah !

     

    Elle entend son prénom comme elle ne l’a jamais entendu. Sans accent, mais d’une intonation totalement inconnue qui la bouleverse. Elle se dit qu’elle n’a jamais rien vécu, que personne ne l’a jamais appelée. Il la prend dans ses bras et la baptise, elle vient de naître. Il lui donne le droit d’être. Par cet adoubement, elle devient.

     

    C’est le dernier contact entre les amants, un dernier instant de chaleur d’une humanité troublante, eux cherchaient la vérité derrière la bestialité et la nudité.

    Il est parti sans se retourner et elle a rassemblé ses souvenirs avant de revenir à sa vie.

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    Deux ans plus tard, par d’étranges hasards, elle fait une découverte stupéfiante : la mère des enfants de Paul se prénomme Sarah…

    Elle ne le savait pas. Elle n’a pas vraiment cherché à le savoir.

     

    Elle se repasse le film, revoit l’expression du visage de Paul à l’aveu de son fantasme enfantin. A-t-il pensé que c’était un dernier piège ? S’est-il dit qu’elle était d’une perversité extrême pour conclure leur rencontre charnelle par ce rappel à sa vie privée, son espace sacré ?

    Jamais elle n’a voulu le blesser, jouer oui, mais cette information, elle ne l’avait pas.

    C’est presque un monde qui s’écroule.

    Cela veut dire qu’un nombre infini de jours de sa vie, Paul était avec une Sarah sans être avec elle.

    Elle ressasse cette information sans vraiment savoir quoi en faire, comment est-ce possible ? Elle passe en revue leurs vies parallèles, les coïncidences, les synchronicités… C’est tellement énorme que cela ne peut pas être le monde réel.

    Elle se sent blessée, elle qui aime tant son prénom se sent spoliée, bafouée.

    Alors que par ce geste elle avait tant aimé prendre vie sous l’aveu de Paul, se sentant renaître et enfin être, aujourd’hui elle se sent volée, reléguée, elle n’a été qu’une ombre, qu’une Sarah de rechange, elle qui tirait sa force de l’unicité de cette relation.

    Elle ne va pas bien.

    Elle essaie de se consoler en se disant qu’à chaque fois qu’il prononçait ce prénom, il pensait à elle, qu’elle s’est immiscée entre eux tant de fois par la simple correspondance des cinq lettres de son prénom.

     

    Elle ne sait pas quoi en penser, elle ne veut plus y penser.

     

    Elle se dit quand même, encore une fois : «  la vie se fout de ma gueule ».

     

    ( géo logique - jeanneovertheworld )