Un jour j’ai découvert que vous étiez enterrée dans la Meuse, Marcelle.
En lisant votre courte biographie, je me suis rendue compte que vous aviez fini sous cette terre rugueuse de l’Est, dans un village près de Verdun, rejoignant ainsi les milliers d’anonymes tombés pendant cette guerre que l’on dit grande.
Je ne sais pas s’il faut faire le lien, et pourtant…
Attirée viscéralement par ce champ de bataille, je savais que l’on allait se rencontrer. L’occasion est arrivée en ce 11 novembre, date symbolique, hasard d’un calendrier chargé, mais y a-t-il un hasard ?
C’est une visite qui se mérite, réservée à ceux qui bravent le brouillard et le froid, quel meilleur temps pour comprendre l’enfer de Verdun ?
Et il a fallu le chercher, ce cimetière municipal de Trésauvaux ! Il y en a tant d’autres autour : nécropole allemande, nécropole française, juifs, chrétiens, musulmans, et vous, enfin.
Le village est si petit, deux rues, l’église et plus rien, il faut rebrousser chemin pour découvrir que le cimetière est là, collé à l’édifice, tout semble abandonné, mais non, c’est la Meuse, voilà tout.
Le portail n’est pas fermé à clef, je le pousse comme on ouvre un paquet cadeau, avec délicatesse pour faire durer le moment. L’herbe, détrempée par la brume, s’écrase sous mes pas, je glisse un peu sur la mousse, votre monument est au bout, je l’ai vu en photo en préparant notre rencontre.
Devant votre tombe, je déchiffre votre nom verdi par les ans et vous devenez réelle.
Je lis des passages de votre livre à voix haute, m’entendez-vous ?
Parce que l’on vous a publiée, Marcelle, la tuberculose vous a emportée avant que ne vous parvienne la nouvelle. Sachez que votre petit livre se trouve sur mon chevet, que je suis heureuse de l’avoir trouvé sur mon chemin.
Je le lis régulièrement, dans les moments de nostalgie, et j’aime particulièrement le faire à voix haute, jusqu’à ce que ma voix chancelle, rattrapée par l’émotion. Au fil des pages, vous mourrez, et je retrouve la saveur de l'existence. Il faut aller à Verdun pour reprendre avec légèreté la bataille qu’est vivre.
Je repars dans la brume, heureuse de vous avoir rendu cette visite.
J’aime les cimetières mais longtemps je n’ai pas eu besoin de m’y rendre.
Pépère, pépé, puis mémère sont redevenus poussière, leurs cendres se sont envolées, laissant le doux souvenir de leur passage, la gratitude de tous ces moments de partage. Mais pas de tombe où aller.
Je retourne un peu plus dans les cimetières à présent, privilège de l’âge, je vais saluer Danièle en me demandant qui sera le prochain, la vie réserve des surprises et déjoue les pronostics.
Est-ce qu’un jour je serai devant ta tombe, à lire et relire ton nom en me disant :
« tout cela a vraiment existé » ?
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Marcelle Sauvageot (née le 10 mars 1900 à Charleville en France et morte le 6 janvier 1934 à Davos en Suisse) est une professeure agrégée de littérature, écrivaine, autrice d'un texte unique, Laissez-moi
Lisez Marcelle Sauvageot !
Commentaires
La tuberculose encore, toujours ....