Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • quam minimum credula postero

    On ne sait jamais quand un jour sera notre dernier. C’est pour cela que « profiter de chaque jour comme si c’était le dernier » est impossible. Si on en a encore la force, si on sait que c’est la fin, on ose l’excès, on ose tout court car il n’y aura rien à assumer, pas de service après vente, ni repris ni échangé.

     

    Mais souvent il y a des lendemains.

     

    Le Carpe Diem est plus juste : quam minimum credula postero, ne rien tenir comme certain, même pas l’existence d’un demain. Alors je profite, me sachant tellement chanceuse de vivre encore depuis seize années. Je fais en sorte de ne pas regretter de ne pas avoir fait sans pour autant regretter d’avoir fait. Comme chacun je fais des choix, avec peut-être plus de liberté, ou moins de freins, j’ose l’espérer.

     

    Demain je fais un examen sous anesthésie générale, rien, très banal. Avec tout un protocole, une préparation. Ce midi j’ai regardé mon assiette en me disant « voici mon dernier repas », un repas blanc, sans résidu, insipide. Je ne pense pas vraiment que cela soit mon dernier repas mais il y a toujours ce fantasme : ne pas se réveiller.

    op.png

    Bien sûr je compte me jeter sur une énorme salade dès demain soir, faire une orgie des fruits et légumes dont on m’a privée.

    Bien sûr je veux encore te prendre la main. Je veux traverser l’Atlantique avec toi, te regarder t’endormir sur le canapé, me blottir contre toi.

     

    Dans la folle hypothèse que je ne me réveille pas, je vous remercie d’avoir traversé ma vie.

    C’est moi qui ai vécu.

    Et j’ai aimé.

  • que restera-t-il de nous ?

          Je suis une archéologue de l’époque contemporaine. J’aime observer les traces de vie, les traces que la vie laisse, sur les sols, sur les corps, les pierres érodées par la pluie, par le vent et les corps courbés par le temps, coupés et recousus, marqués mais pas foutus.

    Tous ces petits détails insignifiants aux yeux des communs hurlent leur histoire à qui sait les voir.

     

         J’aime les vieilles usines, les lieux abandonnés, ils témoignent d’une humanité oubliée.

     

    20240622_145206.jpg

         Je les imagine pleins de vie, je les entends encore respirer.

    Les machines se sont tues, tout est calme, il n’y a plus rien. Les derniers témoins s’éteignent, les anciens racontent encore, pour combien de temps ?

     

         En me promenant à la Völklingen Hutte, je pense à nous.

    Lorsque je ne serai plus là pour dépoussiérer mes souvenirs, que restera-t-il de nous ?

     

         Je regarde ces carcasses envahies par la végétation, des ronces piquantes et impénétrables par endroit, des belles fleurs sauvages à d’autres.

    20240622_154514.jpg

    20240622_154723.jpg

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

         Bruno m’a demandé si on s’était déjà rencontrés. Était-ce une blague ou un trouble passager de la mémoire ? J’aurais pu me vexer mais je sais que les souvenirs communs n’existent pas, chacun a le sien, son vécu propre même si le moment a été partagé. La question m’a plutôt effrayée. Serait-ce possible que tout ce réel s’évanouisse ? Les limbes de son cerveau m’effacent, je reste gardienne de nos rencontres, mais sans personne pour confirmer, peut-on dire que cela a vraiment existé ?

         L’ancienne cokerie a été abandonnée à la nature. Cet endroit infernal pour l’ouvrier à cause de l’extrême chaleur, du bruit et de la pénibilité physique du travail s’appelle aujourd’hui «  le paradis », les oiseaux piaillent et l’herbe envahit tout.

    Que restera-t-il de nous ?20240622_154225.jpg

     

         Aujourd’hui des milliers de visiteurs viennent rendre hommage aux forçats de l’acier, le site est classé au patrimoine mondial de l’humanité.

     

    Mais nous, que restera-t-il de nous ?

  • couleurs

    Blanc.

    Je sors d’une période blanche.

    Comme une semaine sans dimanche, la vie sans rien, sans entrain, sans lendemain. Juste le vide et ses vertiges, l’avenir qui se fige, le néant après cinquante piges.

    Je ne broie pas de noir, il n’est pas question d’espoir, les quotidiens s’enchaînent sans peur mais sans saveur. Les jours défilent mais moi je reste là, suspendue au dessus du vide, sans mots, sans larmes.

    Je suis en zone blanche, pas de réseau, débranchée, rien pour me relier au passé, mamie est partie, rien pour rêver un futur, pas de mail, pas de rendez-vous.

    Jour après jour le fantôme de moi avance comme on attend qu’il fasse, sans faillir en surface. Je déambule dans ma petite vie sans vibrer mais sans tomber.

    Je n’ai pas d’angoisse de la page blanche, je suis bien, je suis rien.

    Le blanc c’est reposant lorsqu’on apprivoise le néant.

    sang.png

     

    Rouge.

    Je suis entrée dans une période rouge.

    Le sang s’écoule de moi, rien ne semble pouvoir l’arrêter.

    Il ne s’agit pas de hémorragie mensuelle, chaque bouffée de chaleur éloigne le cauchemar menstruel, inutiles souffrances qui nettoient par caillots l’antre qui n’accueillit aucun marmot.

    Mon corps saigne par là où j’ai péché : le cul. Chaque matin la cuvette rouge me rappelle ma condition de mortelle. Par l’orifice aux délices s’évacuent tous les résidus, salades, saucisses et desserts sont méconnaissables, seuls les grains de maïs s’affichent intacts avec malice.

    Mon cul pleure ton absence en silence, à chaque ouverture de sphincter il libère des globules rouges, mon corps s’épuise à les fabriquer, la vie m’échappe jour après jour, je me vide, je m’éteins, plus de batterie, plus d’énergie. Tic tac, tic tac, le temps passe et rien n’y fait. Il faut attendre pour un rendez-vous, supplier pour un examen. Quand tout cela prendra-t-il fin ?

    Je crève au ralenti, mes organes me lâchent insidieusement, inexorablement. Je sais que je ne peux pas continuer comme cela. Je rêve hémorroïdes, les médecins envisagent la tumeur.

    Je me sais sursitaire, je me crois prête, est-ce ainsi que se finit la fête ?

     

    Rose.

    Fin de la période blanche.

    Fin de la période rouge. Mise en délibéré. En attente d’un verdict.

    Suis-je sortie d’affaire, la vie en rose ?

    Après une année sans hiver, un avril sans printemps, voilà l’été.

    Le brevet se termine, derniers cours comme ces trente dernières années, est-ce que ma vie va reprendre son cours ?

    Comme si de rien n’était, rien a toujours été.

     

    Old Faithful m’attend, fidèle et à l’heure, juste après la Devil Tower. Je veux (re)vivre ces moments magiques au Grand Prismatic.

    prism2.jpg

    Y croire ?

    Espoir…

    Ose le rose !