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jeanneovertheworld

  • quam minimum credula postero

    On ne sait jamais quand un jour sera notre dernier. C’est pour cela que « profiter de chaque jour comme si c’était le dernier » est impossible. Si on en a encore la force, si on sait que c’est la fin, on ose l’excès, on ose tout court car il n’y aura rien à assumer, pas de service après vente, ni repris ni échangé.

     

    Mais souvent il y a des lendemains.

     

    Le Carpe Diem est plus juste : quam minimum credula postero, ne rien tenir comme certain, même pas l’existence d’un demain. Alors je profite, me sachant tellement chanceuse de vivre encore depuis seize années. Je fais en sorte de ne pas regretter de ne pas avoir fait sans pour autant regretter d’avoir fait. Comme chacun je fais des choix, avec peut-être plus de liberté, ou moins de freins, j’ose l’espérer.

     

    Demain je fais un examen sous anesthésie générale, rien, très banal. Avec tout un protocole, une préparation. Ce midi j’ai regardé mon assiette en me disant « voici mon dernier repas », un repas blanc, sans résidu, insipide. Je ne pense pas vraiment que cela soit mon dernier repas mais il y a toujours ce fantasme : ne pas se réveiller.

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    Bien sûr je compte me jeter sur une énorme salade dès demain soir, faire une orgie des fruits et légumes dont on m’a privée.

    Bien sûr je veux encore te prendre la main. Je veux traverser l’Atlantique avec toi, te regarder t’endormir sur le canapé, me blottir contre toi.

     

    Dans la folle hypothèse que je ne me réveille pas, je vous remercie d’avoir traversé ma vie.

    C’est moi qui ai vécu.

    Et j’ai aimé.

  • que restera-t-il de nous ?

          Je suis une archéologue de l’époque contemporaine. J’aime observer les traces de vie, les traces que la vie laisse, sur les sols, sur les corps, les pierres érodées par la pluie, par le vent et les corps courbés par le temps, coupés et recousus, marqués mais pas foutus.

    Tous ces petits détails insignifiants aux yeux des communs hurlent leur histoire à qui sait les voir.

     

         J’aime les vieilles usines, les lieux abandonnés, ils témoignent d’une humanité oubliée.

     

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         Je les imagine pleins de vie, je les entends encore respirer.

    Les machines se sont tues, tout est calme, il n’y a plus rien. Les derniers témoins s’éteignent, les anciens racontent encore, pour combien de temps ?

     

         En me promenant à la Völklingen Hutte, je pense à nous.

    Lorsque je ne serai plus là pour dépoussiérer mes souvenirs, que restera-t-il de nous ?

     

         Je regarde ces carcasses envahies par la végétation, des ronces piquantes et impénétrables par endroit, des belles fleurs sauvages à d’autres.

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         Bruno m’a demandé si on s’était déjà rencontrés. Était-ce une blague ou un trouble passager de la mémoire ? J’aurais pu me vexer mais je sais que les souvenirs communs n’existent pas, chacun a le sien, son vécu propre même si le moment a été partagé. La question m’a plutôt effrayée. Serait-ce possible que tout ce réel s’évanouisse ? Les limbes de son cerveau m’effacent, je reste gardienne de nos rencontres, mais sans personne pour confirmer, peut-on dire que cela a vraiment existé ?

         L’ancienne cokerie a été abandonnée à la nature. Cet endroit infernal pour l’ouvrier à cause de l’extrême chaleur, du bruit et de la pénibilité physique du travail s’appelle aujourd’hui «  le paradis », les oiseaux piaillent et l’herbe envahit tout.

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         Aujourd’hui des milliers de visiteurs viennent rendre hommage aux forçats de l’acier, le site est classé au patrimoine mondial de l’humanité.

     

    Mais nous, que restera-t-il de nous ?

  • couleurs

    Blanc.

    Je sors d’une période blanche.

    Comme une semaine sans dimanche, la vie sans rien, sans entrain, sans lendemain. Juste le vide et ses vertiges, l’avenir qui se fige, le néant après cinquante piges.

    Je ne broie pas de noir, il n’est pas question d’espoir, les quotidiens s’enchaînent sans peur mais sans saveur. Les jours défilent mais moi je reste là, suspendue au dessus du vide, sans mots, sans larmes.

    Je suis en zone blanche, pas de réseau, débranchée, rien pour me relier au passé, mamie est partie, rien pour rêver un futur, pas de mail, pas de rendez-vous.

    Jour après jour le fantôme de moi avance comme on attend qu’il fasse, sans faillir en surface. Je déambule dans ma petite vie sans vibrer mais sans tomber.

    Je n’ai pas d’angoisse de la page blanche, je suis bien, je suis rien.

    Le blanc c’est reposant lorsqu’on apprivoise le néant.

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    Rouge.

    Je suis entrée dans une période rouge.

    Le sang s’écoule de moi, rien ne semble pouvoir l’arrêter.

    Il ne s’agit pas de hémorragie mensuelle, chaque bouffée de chaleur éloigne le cauchemar menstruel, inutiles souffrances qui nettoient par caillots l’antre qui n’accueillit aucun marmot.

    Mon corps saigne par là où j’ai péché : le cul. Chaque matin la cuvette rouge me rappelle ma condition de mortelle. Par l’orifice aux délices s’évacuent tous les résidus, salades, saucisses et desserts sont méconnaissables, seuls les grains de maïs s’affichent intacts avec malice.

    Mon cul pleure ton absence en silence, à chaque ouverture de sphincter il libère des globules rouges, mon corps s’épuise à les fabriquer, la vie m’échappe jour après jour, je me vide, je m’éteins, plus de batterie, plus d’énergie. Tic tac, tic tac, le temps passe et rien n’y fait. Il faut attendre pour un rendez-vous, supplier pour un examen. Quand tout cela prendra-t-il fin ?

    Je crève au ralenti, mes organes me lâchent insidieusement, inexorablement. Je sais que je ne peux pas continuer comme cela. Je rêve hémorroïdes, les médecins envisagent la tumeur.

    Je me sais sursitaire, je me crois prête, est-ce ainsi que se finit la fête ?

     

    Rose.

    Fin de la période blanche.

    Fin de la période rouge. Mise en délibéré. En attente d’un verdict.

    Suis-je sortie d’affaire, la vie en rose ?

    Après une année sans hiver, un avril sans printemps, voilà l’été.

    Le brevet se termine, derniers cours comme ces trente dernières années, est-ce que ma vie va reprendre son cours ?

    Comme si de rien n’était, rien a toujours été.

     

    Old Faithful m’attend, fidèle et à l’heure, juste après la Devil Tower. Je veux (re)vivre ces moments magiques au Grand Prismatic.

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    Y croire ?

    Espoir…

    Ose le rose !

     

     

  • je voeux

    Mon corps saigne, mon cul pleure des larmes de sang.

    À défaut de l’avoir portée, la vie s’écoule de moi, petit à petit.

    Je me vide.

    On cherche le coupable, y a-t-il quelqu’un à accuser ? Quelle défense adoptera-t-il après identification ? Quel traitement ? Peut-on se repentir et repartir, à nouveau ?

    Je m’épuise.

    Je ne suis plus qu’une enveloppe qui se disloque.

     

    Memento mori…

    Je le sais trop bien, comment l’oublier avec ces rappels réguliers ?

     

    J’ai accepté, je crois m’y être préparée.

    On voudrait tous partir avec panache, d’un coup, sans souffrance, sans déchéance, sans conscience même.

     

    Je me vide, de mon énergie physique, de ma force mentale.

    J’accepte de mourir, personne n’y échappera, mais jusque là je veux disposer de mon corps à ma guise.

    Je veux pouvoir marcher, arpenter les rues, escarpées ou non.

    Je veux pouvoir admirer les toiles dans les musées ou en plein air.

    Je veux applaudir aux concerts.

    Je veux rouler dans les immensités.

    Je veux être là pour ceux qui comptent sur moi et ceux qui ne m’auraient pas totalement oubliée.

    Je veux t’accompagner dans tes rêves.

     

    Encore...

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  • coquillages et crustacés

    Parfois on m’offre des souvenirs de voyage, des objets exotiques, en pensant me faire plaisir. Je ne suis pas une collectionneuse, je ne veux pas de souvenirs qui ne seraient pas les miens, le passé est déjà lourd à porter.

    On peut trouver chez moi du sable blond de la dune du Pilat où j’aime m’oublier, du sable gris de la plage de la Grande Motte où enfant j’ai passé mes étés et du sable noir d’Islande où j’aimerais revenir, indéfiniment. Toutes ces petites boites pour moi prennent sens, j’aime les avoir près de moi, elles me racontent et me définissent.

    Je ne collectionne pas les coquillages, je conserve des souvenirs. 
    Fuyant le soleil qui a tant mordu ma peau à ( ne pas ) en crever, j’aime cependant les plages. Marcher sur une plage,  pour moi, c’est relever le défi de la vie, sentir sous mes pieds l’eau qui se dérobe, la planète qui vit, un résumé d’existence : de rocher tu deviendras poussière.
    Les plages sont des finistères, le bout d’un monde, la fin du chemin, on ne peut que la longer, prolonger le moment, mais on ne peut plus aller plus loin.
    Parfois je m’arrête, face à la mer, je respire et lui prends sa force. 
    En face de l’océan l’homme est à sa place : petit, insignifiant, un élément parmi tant.
    Il n’y a rien à faire pour moi à la plage, surtout pas musarder, mais je suis attirée.
    Au bout de la ligne B du métro de Rotterdam, à l’embouchure de la Meuse, on accède à la mer du Nord, belle même sous la pluie dans son dégradé de gris. On peut y reprendre sa respiration et, ensuite, le cours de notre existence.

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    Les souvenirs ne sont pas cachés, ils m’accompagnent.
    Lorsque je prends ma douche, j’ai toujours un regard pour les coquillages ramassés en Nouvelle-Zélande sur la plage de la baie de Plenty, au large de Rotorua. Un coup d’œil et je me retrouve sur cette plage, en manteau d’hiver, août est plutôt frisquet aux antipodes.

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    Depuis cet été, chaque matin en prenant mes clefs je souris en voyant ces petits coquillages blancs.
    Qu’importe le gris de l’hiver, qu’importe l’humide des pluies d’un printemps qui tarde à arriver, un regard et je me replonge à Bacalar au Mexique, dans la fameuse lagune aux sept couleurs.baca.jpg
    Les photos feraient rêver bien des gens, je ne suis pas friande de ces endroits dégradés par les instagrameurs. Cette lagune est un joyau déjà mort, le sur-tourisme détruit tout et pourtant…
    Et pourtant…
    J’ai passé de très bon moments, les pieds dans l’eau, au bord de la lagune aux folles couleurs. Il suffit de s’écarter un peu.
    J’ai nagé, j’ai plongé, masque et tuba. Je me souviens de cette sensation d’eau trop chaude, presque désagréable quand on cherche un peu de fraîcheur dans l’été mexicain. Les fonds marins immaculés sont spectaculaires de vide, pas un poisson qui survive, c’était presque triste. Et ce sable si fin, si doux. Je nageais donc dans le blanc, dans le chaud, dans le vide, la tête sous l’eau fuyant le bruit d’un bateau de touristes passant au loin en crachant de la musique techno quand soudain… J’aperçois un de ces coquillages, blanc sur blanc, en tenue de camouflage. Je le glisse dans mon maillot, puis un autre….

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    Et me voilà, des mois après, à replonger chaque matin avant de partir travailler, à m’évader, à vivre encore et encore.
    Non pas un jour sans fin, mais la Vie sans fin.
    Hier, aujourd’hui et demain.
    Vivons encore !

  • 2024

    Voilà le rendez-vous annuel, comme un battement régulier qui dit que ce blog n’est pas mort.

    Il faut faire le bilan, fixer des objectifs, à un rythme convenu, se plier à la norme, ne pas dépasser, faire comme tout le monde.

    C’est là que je vois mon décalage, je n’ai pas conscience de mon âge.

    Je ne veux pas compter, à vrai dire je n’ose y croire.

    J’ai cependant le sentiment que cette année est passée très vite, sans anicroche, de toute façon les mauvais moments, je les retiens pas, pas assez de place dans ma mémoire, refus d’avoir de nouvelles cicatrices sur le cœur.

     

    J’ai beaucoup voyagé, autant dire que j’ai beaucoup vécu.

    De la Grèce à l’Algarve en passant par le Mexique, toujours au rythme lent des voitures sur les routes de campagne, à traverser des petits villages peuplés par des habitants qui n’attendent pas les touristes.

    Prendre le temps de n’être rien ni personne. Juste vivre des moments, intensément.

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    S’asseoir dans le bistrot de la place du marché et boire une bière ou un petit café aux côtés du livreur de gaz et de la mamie qui revient des courses.

    S’asseoir sur un banc de la place centrale et regarder les gens danser, les enfants courir, les hommes parader.

    S’asseoir sur le sable et regarder les vagues danser dans l’océan, penser à ceux qui meurent dans des bateaux de fortune, se dire que de l’autre côté de l’horizon il y a des hommes qui ont construit de plus grandes villes et que certains se lancent des bombes.

    Comment est-ce possible ?

    Je suis extrêmement privilégiée, voyager c’est aussi prendre de la hauteur, ne pas rester autocentré et tenter d’appréhender mieux le monde.

     

    Si je réfléchis trop sur ce monde, je ne parviens plus à rester optimiste et ce n’est pas ce que vous voulez lire.

    Je suis extrêmement privilégie et c’est pour cela peut-être que je ne vois pas le temps passer et que je ne veux pas compter, peut-être que si je ne fais pas trop de bruit, peut-être que si je ne bouge pas trop, on va me laisser en profiter encore un peu

    J’ai d’abord écrit « longtemps » mais j’ai supprimé, un peu ce serait déjà si bien… et puisque je ne compte pas, « un peu », cela peut représenter une éternité…

     

    Mes souhaits pour 2024 sont à la fois simples et ambitieux : vivre pleinement, profiter de chaque instant et partager de doux moments avec vous.

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  • mots dits

    Je lui ai dit :

    je ne sortirai pas d’ici indemne...

    J’ai vu dans ses yeux la peur, l’incompréhension qui soudain plomba une relation légère et sans conséquence. Il ne voulait pas être sage, mais juste de passage ; il voulait me prendre et me laisser, je l’avais accepté, je n’aurais pas su quoi faire de lui.

    Mais je ne voulais pas sortir de cette chambre indemne, pour moi, de cela, il n’a jamais été question.

    La vie laisse des traces, c’est à cela qu’on voit qu’on est vivant.

    Je voulais me souvenir de chaque moment, je voulais savourer et me l’avouer, puis partir, poursuivre mon chemin, semblable mais différente, nourrie de cette expérience, troublée peut-être, blessée pourquoi pas, mais jamais, non jamais indemne.

     

    Je lui ai dit :

    vous ne savez pas embrasser...

    Je me la suis jouée maîtresse, comme si je maîtrisais ces instants de découverte, je me la suis jouée experte comme si j’embrassais jour après jour des inconnus dans les rues.

    Je ne lui ai pas laissé le temps de se rattraper, de m’initier à ses baisers. Mon vrai trouble était de n’en ressentir aucun et de ne pas avoir envie de sa bouche engluée à la mienne, de sa langue au chaud tourbillonnant avec la mienne.

    Et si le baiser amoureux, le baiser langoureux, était le summum de l’intime entre deux êtres ? Le sexe c’est animal, viscéral, c’est organique, bien moins dramatique qu’un baiser...

     

    Je lui ai dit :

    j’aimerais que tu reste là pour le reste de ma vie...

    Il m’a fait répéter, j’ai senti sa gêne et presque sa tristesse, il a du me croire éprise ou brisée, soumise ou emprisonnée. Il a du croire que je n’avais pas renoncé à ma vie avec lui, à l’espoir d’un quotidien sous son soleil.

    Je voulais dire : j’aimerais que tu restes là, abouché à mon sexe, tout le reste de ma vie.

    Je voulais dire : je veux mourir comme cela, maintenant, ta langue en bas.

    Il connaît les endroits, il connaît la manière, mon sexe le reconnaît et l’attend, éternellement. Il navigue entre les chairs, du bouton aux méats, il passe sans insister et repasse sans se lasser, il me dévore, il me picore, je cède, abandonnant ma pudeur, je lâche prise, je deviens une boule de sensations, douces, subtiles et chaudes. Les mots manquent pour qualifier le bien être qui m’envahit alors, je fonds, les draps s’inondent. Je perds pieds, je perds l’équilibre, il persévère. Tout l’univers tourne alors autour de ce bouton, sa langue s’y enlace, inlassablement, cette langue dont je me languis aujourd’hui.

    Je ferme les yeux, allongée sur mon lit, j’écarte doucement les jambes et j’essaie de l’imaginer là. Cruels souvenirs qui ne fixent pas les sensations, je suis incapable de le retrouver, de sentir son souffle à ma fente, sa chaleur irradiante. Plus rien de ce bien-être, de cet oubli de soi qui me fait me sentir être, qui ressuscite la femme qui sommeille.

    Main qui caresse et qui blesse, rien ne le remplace.

     

    Je lui ai dit :

    je ne suis pas une fille qui reste...

    Je ne savais pas et je pense que je ne voulais pas. Je n’avais pas encore expérimenté la vie, je voulais tester, goûter à tous les fruits, même ceux qui sont défendus, surtout ceux-là…

    Je lui ai dit : je ne suis pas une fille qui reste, alors il a pris ma main et il est venu avec moi.

     

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  • il pleut des papillons

    Rouler, rouler encore…

    Avaler les kilomètres, avancer…

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    J’aime rouler sur toutes les routes du monde, voitures manuelles ou automatiques, route sèche ou bitume glacé, conduite à gauche ou à droite, éviter les nids de poule, traverser les espaces, parcourir le monde à 80 kilomètres/heure.

    Chaque pays a ses spécificités, lignes blanches, lignes jaunes, chaque région a ses dangers, traversées de singe, vélos non éclairés.

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    Après trente ans de conduite, le Mexique m’a appris encore bien des choses. Doubler les trucks interminables, me méfier des trous et des bosses, deviner l’axe de la chaussée lorsque une pluie de mousson l’efface, ne pas me laisser avoir par les marchandes qui barrent le passage, ne pas énerver les manifestants qui extorquent quelques pesos, surveiller la jauge jusqu’à l’hypothétique station dans la brousse, ne pas écraser les serpents et surtout deviner où il faut bifurquer car rien n’est indiqué.

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    Nous quittions Uxmal par la route 261, vers le Sud et Campeche.

    Inutile de préciser le numéro de la route, il n’y en a qu’une.

    Elle traverse ce que les locaux appellent la jungle.

    Chaleur, humidité, végétation envahissante, l’ombre d’Ingrid Betancourt et des Farc n’est pas si loin, quatre touristes français sont portés disparus au Guatemala voisin…

    Des kilomètres de vert sans humain, juste nous sur la route, personne en face, personne derrière.

    Je n’ai pas peur, le plein d’essence est fait. J’ai de l’eau et la clim’.

    Je n’ai pas peur, je ne suis rien ni personne, légère et libérée.

    J’ai lâché prise, je savoure le jour, les yeux grand ouverts sur les beautés d’un monde pas encore totalement détruit, je me repose la nuit le sourire aux lèvres, consciente de ma chance, de mon privilège d’être là et d’être ENCORE là.

    Je roule, j’avance en conscience et je vis intensément ce moment de rien, entre deux, dans la forêt dense.

    Entre deux monuments mayas les hommes ont laissé une porte, limite entre l’état du Yucatan et l’état de Campeche, construction décrépie et bientôt mangée par la végétation.

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    On la passe et on replonge dans le vert, on dirait que l’herbe veut traverser la route, les arbres s’inclinent à notre passage.

     

    Quelque chose obstrue le passage au loin, il pleut du jaune sur la route, des centaines de papillons virevoltent.

    Paf, un, paf, deux, paf paf, oh non, il n’y a rien à faire pour les éviter, ils sont si nombreux !

    Alors je roule, un peu plus doucement.

    C’est un spectacle merveilleux, inattendu, magique.

    Au milieu de nulle part, un ballet de papillons nous salue.

    Moment féerique et surréaliste.

    Un moment pour rien, sans témoin.

    Une expérience d’une folle et dramatique beauté.

    Le pare-brise se couvre de poudre de papillon, comme s’ils attendaient notre passage pour nous bénir.

     

    Dans cette vie difficile, à l’heure où l’homme bombarde l’homme, où des professeurs se font tuer parce qu’ils sont professeurs, je repense à ce moment presque divin.

    Il me nourrit encore.

     

     

  • projets pour 2023

    Voici arriver notre rendez-vous annuel.

    Celui où l’on se retrouve seul face à soi à se demander « qu’est-ce que j’ai fait de ce temps ? »… qui file…

    L’année 2022… déjà finie.

     


    Je ne dirai pas que j’ai adoré cette année , ce ne fut pas un cauchemar. Depuis le Covid, on ne fait que rebondir et accepter l’impensable, on ne fait que s’adapter, on continue de râler, pour le principe mais on courbe l’échine et on continue d’avancer.

    Même cette phrase est une posture, pour me conformer à l’ambiance.

    Râler à propos de quoi ? Je n’ai pas vu le temps passer.

    30 ans ? Quoi, j’ai 50 ans ? Tout cela est une plaisanterie !

    Je sais que le temps n’est qu’une convention mais je ne m’y fais pas.

    Je ferme les yeux et passe à autre chose.

    J’ai tendance à regarder derrière, c’est plus rassurant et déculpabilisant, il n’y aucune décision à prendre, on ne peut rien changer. Je ne suis pas passéiste, c’est juste ce qui me constitue, mon histoire, alors m’y replonger c’est mieux l’intégrer et donc mieux me connaître.

    Je regarde vers demain parce que je t’attends encore, je t’attends toujours.

    J’attends de voir ce que me réserve la Vie.

    Je ne suis pas pressée, tout le monde sait comment se finit l’histoire.

    Alors pour cette année qui commence, je souhaite qu’elle nous livre son lot d’imprévus et que nous soyons là dans un an pour en faire le bilan.

    Un pas après l’autre, un jour après l’autre, un an après l’autre…

    Et vivre ! Je nous souhaite de vivre !

     

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  • 50 nuances de moi

    Franchement, je n’y crois pas.

     

    C’est quoi le temps ? Rien qu’une convention.

    Il paraît que j’ai cinquante ans. Qui a décidé qu’une année était composée de douze mois ? Question phatique, je le sais bien, le calendrier est un accord entre humains, nous ne sommes pas en 2022, je n’ai pas cinquante ans.

     

    Mais je n’ai plus vingt ans, je le sais et c’est ma joie, ma victoire.

    Lorsque l’on m’a dit « cancer », tout mon futur s’est effacé, je ne me voyais pas forcément morte mais je ne voyais plus rien. J’avance dans le brouillard. J’ai perdu mes repères, le notion du temps, cela fait plus de quinze ans que je vis au présent.

     

    Enfant on pense que cinquante ans, c’est vieux, symboliquement la moitié de la vie, bonjour les arrondis !

    Aujourd’hui, cinquante ans, c’est rien, même pas l’espoir de la retraite, juste un corps qui devient plus douloureux et des cheveux qui s’éclaircissent.

     

    Moi, je n’y crois pas.

    Je vois bien mon corps flasque, mon souffle court en haut des escaliers.

    Mais cinquante ans, c’est une blague.

     

    J’accepte de souffler mes bougies, je ne renie rien, j’ai juste du mal à y croire.

     

    J’exulte : je suis en vie.

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    Merci de m’avoir accompagnée jusque-là...