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jeanneovertheworld - Page 12

  • quick love

     

    Il était deux fois, ou bien trois.

    C'est arrivé, ou bien pas.

    Mais ce ne sera plus. C'est ainsi.

    D'ailleurs est-ce que cela a vraiment été ?

    L'hiver a tout emporté, congelé les cœurs, étouffé les pleurs.

    Elle est venue à Paris comme on s'enfuit,

    elle a voulu abandonner sa vie.

    Avant la guerre on prenait le temps,

    on avait le temps,

    pour passer d'un monde à l'autre,

    quatre heures pour rejoindre la capitale,

    quatre heures pour se dire, DSC00054.jpg

    se faire croire,

    que c'est une autre dans le miroir,

    la tête collée contre la fenêtre à regarder les paysages filer,

    et défiler,

    comme un passé qu'on détricote.

    Avec le TGV, elle a quatre-vingt minutes pour se dire « cette autre, c'est moi ».

     

    Elle aimait se promener dans les rues,

    même celles aux arrières-cours sombres, aux murs borgnes,

    elle aimait Paris car elle n'y était personne,

    ni la femme de,

    ni la dame qui,

    personne, juste Elle.

    Une exposition, une crêpe, le jardin des Tuileries.

    Elle marchait,

    vite,

    on marche toujours plus vite quand on n'a pas une main à tenir,

    on fait croire qu'on va quelque part.

    Elle moissonnait, à chaque rue, à chaque station de métro,

    ho_1246_51ed47ee07db1.jpg

    elle récoltait ses souvenirs et avançait de plus en plus difficilement, de grosses bottes fanées sous les bras.

    A parcourir la ville-lumière, elle sortait de l'ombre tout ce qu'elle avait tu : son vécu.

    Elle déposa tous les petits bouts de son passé sur le lit de l'hôtel, refit mentalement le puzzle d'elle et s'endormit,

    réunie,

    avec aux lèvres l'amertume de n'être pas plus souvent

    et au cœur un déchirement schizophrène.

    Elle déjeune seule et se ravit de pouvoir le faire,

    il lui faut trouver la force d'assumer cette solitude,

    elle s'affiche, elle ne peut se cacher derrière un rôle,

    derrière un autre.

    Elle déjeune, troisième personne du singulier.

    Pourtant, elle aime le pluriel,

    surtout lorsque le masculin l'emporte.

    Une promenade dans le répertoire de son téléphone,

    la voilà parcourant des prénoms d'hommes,

    pour jeter une bouteille à la mer, un SMS et attendre.

    Et elle attend.

    Il répond.

    Tard.

    Il veut la voir.

    Il veut l'avoir.

    Mais elle part.

    Alors il court, accourt, la courtise.

    Gare de l'Est, vite !

    Allez, Quick, un café.

    Leurs bouches racontent des banalités,

    leurs lèvres embrasent leurs rêves,

    leurs bouches racontent des civilités,

    leurs yeux passent aux aveux : les ventres réclament.

    Bien sages sur leur siège, en vitrine du fast-food, ils connectent leurs rêves et voyagent,

    ils ne se disent rien mais s'avouent tout,

    ils ne se connaissent pas mais partagent l'essentiel : le désir de l'autre.

     

    L'heure du train. modern.jpg

    Ils se quittent sur le boulevard.

    Gourmands, impatients, leurs doigts s'emmêlent, s'attachent, se rebellent.

    Les corps s'attirent, la raison dit non

    les cœurs s'affolent, alors à quoi bon...

    Lèvres contre lèvres, sur le trottoir le monde s'évanouit.

    Il ne reste qu'eux.

    Liés par quelques centimètres carrés d'humidité, ils parlent la même langue,

    ils ne se promettent rien mais savent qu'ils le veulent,

    ils scellent les possibles d'un baiser.

     

    Elle rejoint sa campagne,

    il rejoint sa compagne.

    Il était une fois.

    Il était deux moi.

    Il ne sera jamais.

  • le temps de l'aventure

     

    Je suis allée voir ce film, tout en nuances, tout en élégance.
    Ennuyeux pour certains peut-être, j'en conviens.

    Ce qui m'a le plus attirée, c'est son titre, que je jalouse.

    Il est pour moi un concentré évanescent des possibles.


    Ce film évoque le coup de foudre, ou juste le coup de folie, où l'animal se bat avec le moral, la morale, où la raison se laisse submergée par la passion. On assiste à la valse hésitante de deux amants malgré eux, qui se livrent et se perdent, s'enivrent, se perdent et se retrouvent, se découvrent et s'oublient.


    Ce n'est pas un film sur un coup de foudre, à mes yeux.

    Ce n'est pas une passade, un caprice.

    Ce n'est pas une passe sale, c'est plus complexe, plus profond, va au-delà du con, au delà du sexe.

    Ce n'est pas non plus le temps d'une histoire, le temps de l'amour, ni le temps d'une histoire d'amour, ils font plus mais tellement moins, il n'est pas encore question d'aimer l'autre, juste de plus s'aimer soi, juste vivre.

    Être.

    Ce n'est pas non plus un film sur « une » aventure . Elle ne les collectionne pas, il semble ne pas les rechercher. Cela s'impose à eux, ce n'est pas dénombrable. C'est indénombrable, c'est générique, universel, l'attirance d'un homme et d'une femme qui s'unissent dans l'obscur secret d'une chambre d'hôtel mais que rien, passé la porte, n'unit, rien que ce qu'ils auront pu créer à l'intérieur, au présent.

    Pas de passé, pas d'avenir.

    C'est le temps de l'aventure...judas_1175532059.jpg

    Pour moi cela évoque un temps... hors du temps, un temps parallèle, comme une vie parallèle, voire une seconde vie, mais justement pas une double vie. Il n'est pas question de doubler qui que ce soit, pas de volonté de tromperie, juste la volupté à l'envi. Et aimer. Sans retenue. Sortir de soi pour se retrouver. Laisser de côté ce que la société dit de nous, oublier nos liens, notre lignée, ne rien devoir, à personne, se retrouver nue, n'être personne pour savoir qui on est, se voir. Se donner et s'appartenir.

    Livre-pages-en-coeur-800x600.jpgC'est comme le recto et le verso d'une feuille, la page d'un roman. La page est une, unique. Le recto serait la vraie vie, officielle, aux yeux de tous, avec ses engagements. Le recto est aussi appelé « belle page », la belle vie, bien visible. Le temps de l'aventure, lui, est sur le verso, discret, souvent ignoré. On appelle aussi recto « fausse page », serait-ce donc une fausse vie ?

    Non, le papier est le même, les aventuriers restent humains, faits du même grain.

    « Une femme inconnue, et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre » ; ils s'aiment et se comprennent. Un monde autre, le même univers.

    Il y a le temps de la vie, il y a le temps de l'envie,

    Il y a le temps de ma vie, il y a le temps de l'aventure...

    "Vivre est nécessaire pour se reposer des rêves"

    Tu as retenu cette phrase de tout un roman (Mia Couto) et je souris, comme un message que tu me passes.

    Lorsque Verlaine écrivait son rêve familier, rêvait-il ou s’osait-il pas s'avouer qu'il vivait l'extraordinaire, l'impensable amour toujours transcendé.

    Le rêve n'est pas toujours irréel, c'est juste un autre réel, connu de nous seuls, su des seuls rêveurs...

    J'ai aimé quand tu rêvais avec moi, cela a mis du soleil dans mon vivre.

     

     

  • "appelez-moi Nuage"

    Et je vis descendre les nuages sur le monde,

    comme on pénètre doucement dans la ouate.

    Et je vis les nuages enrober le monde

    de leur sucre aérien,

    à  la barbe du monde, l'enrober de barbe à papa...CIMG4334.JPG

     

    Moi, à la terrasse de ce café au bout du monde

    à  boire une bière en haut du monde

    à  68 degrés de latitude Nord

    de quoi perdre.. le Nord ou la tête...

    ça donne le vertige de voir notre monde d'un bout de la lorgnette

    mais j'aime prendre ce recul,

    rester à la marge,

    me tenir en équilibre,

    reculer le plus loin possible

    pour observer la Terre.

     

    A  cette terrasse je ne voulais que profiter,

    du rien,

    du silence,

    percer le mystère des rayons d'un soleil qui ne réchauffent pas.

    Peut-être pensais-je trouver la clé

    qui enferme les mélanocytes loin des dégâts de l'astre.

    Non, je crois que je n'attendais rien,

    espérant que si on ne l'attend pas, la fin du jour ne viendra jamais

    espérant que si on ne bouge pas, la mort finira pas nous oublier

    et pas que la mort, toutes les obligations de la vie aussi.

    J'ai voulu un instant m'oublier,

    que l'on m'oublie,

    ne plus bouger,

    juste ma cage thoracique qui imperceptiblement se soulève,

    juste ma cage

    et m'évader...

    CIMG4339.JPG

    Et puis j’ai vu les nuages dégouliner

    je ne sais quelle force les avait menés au sommet.

    Dans une avalanche lente et muette, ils descendaient l'adret

    en hurlant « never come back »

    ne jamais revenir en arrière, oublier l'ubac.

    Ils dévoraient la paroi,

    ils semblaient même la déguster,

    lentement mais avec gourmandise, de grosses bouchées.

    Leurs joues gonflées, les nuages descendaient vers moi.

    C'était un spectacle hypnotisant,

    on voyait la lutte,

    on voyait la vie,

    la terre qui respire,

    les éléments qui tentent un mélange...

    Il faisait si beau

    et les nuages jouaient à saute-montagne.

    Qui allait gagner ?

    Délicieux équilibre, subtile déséquilibre, entre l'altitude, les températures et l'humidité de l'air.

    Je regarde ce spectacle rare et pourtant si simple, jamais banal pour qui a mes yeux,

    quelques secondes pour toucher du regard l'éternité,

    l'intemporel

    léger, sublime, subtile, subliminal...

    Aux premières loges, je retiens mon souffle pour ne pas influencer leur trajectoire,

    je retiens mon souffle et j'attends qu'ils me prennent.

    CIMG4344.JPG

    Ils avançaient vers moi, les nuages.

    Et j'avançais vers eux.

    Me jeter dans leur brume comme je m'abandonne dans tes bras

    me désaltérer à l'écume des désirs d'absolu

    voir la lumière dans le noir

    j'avance

    j'ai le cœur dans les nuages

    j'avance sans peur

    jusqu'à la trouée dans les nuages

    la clairière de bonheurth.jpg

    mon nid, notre lit.

  • il était une fois la femme...

    Elle m’attendait dans le port, sa lanterne à la main pour ne pas que je perde de vue mes rêves.

    Elle attendait à l’embouchure de l’Hudson que quelqu’un vienne la chercher, perchée sur son piédestal, s’agrippant à la grève, à côté d’Ellis Island.

     

    lib day after.jpglib singes.jpgDans tous les films de fiction où les Etats-Unis sont attaqués, elle se retrouve décapitée comme une reine perdrait la tête d’avoir trop cru en l’humanité.

     

    J’ai rencontré Miss liberté un jeudi de l’été 1996 avec une émotion finalement commune, mais unique car mienne, je la regardais en me pinçant, pour être bien certaine de son existence, j’étais venue vérifier que ce que l’on m’avait dit était vrai, je voulais voir, je voulais vivre, je voulais LA vivre…

    lib 1.JPG

     

    Et elle était bien là, fidèle au rendez-vous que je n’avais pas osé fixer, elle se laissait tourner autour, même par les hommes et restait impassible, droite et fière, semblant attendre son libérateur.

     

    Elle a vu arriver les rescapés du Titanic, sans pouvoir réchauffer leurs cœurs des premiers rayons d’avril, elle a aussi vu passer deux avions, un matin ensoleillé de septembre…

    Et pourtant, elle reste là.

    A croire.

    Elle ne m’a rien dit de ce qu’elle attendait, depuis si longtemps, elle ne m’a pas fait part de cette force qui l’anime pour habiter encore nos imaginaires, mais elle est là.

     

    Liberty Enlightening the World, La Liberté illuminant le monde… quel travail de fou, mais ne dit-on pas que le monde est fou ? C’est pour cela qu’elle est encore debout : pour nous éclairer…

    Certains sont si loin que dans la brume coréenne ils voient bien mal ses signaux, certains sont si peu clairvoyants que derrière les grilles de pays en « an » ils ne captent qu’un message partiel. Elle a du mal parfois à éclairer le pays qui l’accueille sur ses berges, trop fier peut-être ou aveuglé par l’intensité de sa torche.

     

    De l'autre côté de l'Atlantique, à Colmar, on peut visiter un petit musée sans prétention : la maison d’Eugène Bartholdi. J’aime les musées qui respirent la vie malgré la poussière. Ce n’est pas un musée d’ailleurs : c’est sa maison. On peut se promener dans son salon, marcher sur des parquets sans âge et écouter le chant grinçant de nos pas, une maison si vieille qu’elle soupire lorsqu’on escalade ses niveaux, et qui nous offre sans fausse pudeur une vision sur son cœur.

    lib before 1.JPGC’est sur une petite étagère de cette maison de Colmar que reposent très discrètement les rêves et les espoirs du sculpteur, les hésitations, les désirs secrets, ce que nous ne connaitrons jamais, ce que nous aurions pu voir… On trouve au détour d’une salle mal éclairée les exquises esquisses, des formes à peine sorties de la glaise, des prototypes, enfin : la proto-femme !

     

    lib bartholdi.JPGOn voit qu’elle aurait pu être, plus ronde, plus fine, plus opulente,  moins sévère. On voit qu’elle hésitait à déclarer sa flamme, qu’elle ne savait pas encore quel fardeau elle porterait côté cœur…

    On peut voir tout cela : l’histoire qui balbutie, l’histoire que l’on façonne du bout des doigts d’homme.

    Si on lui avait dit, à Bartholdi…

     

    C’est un musée de rien,

    un musée qui fait du bien,

    qui ressource,

    retour aux sources,

    d’où je sors sourire aux lèvres et vous savez pourquoi : c’est moi qui ai vécu…

  • Hope, Hopper

    hopper façade.JPGEtudiante déjà, j’avais au mur de ma chambre des reproductions de ses tableaux, accrochés à la Patafix.

    Edward Hopper a croisé mon chemin il y a bien longtemps et m’a accompagnée déjà la moitié de ma vie.

    Pas moins !

    A New-York, je fréquente le Whitney Museum of American Art plus facilement que la MOMA, à cause de lui, Edward…

    Alors, une expo au Grand Palais, quelle joie…

    Encore une raison d’aller à Paris, je me faisais une joie…

     

    Qu’une expo fasse connaître un artiste, c’est fantastique, que la culture soit rentable, c’est tant mieux pour les organisateurs, puissent-ils en échange continuer à prendre des risques…hop foule.JPG

    Mais j’avoue que j’ai très vite saturé, Hopper par-ci, Hopper par-là… alors que durant des années personnes n’en a parlé.

    Et trop de monde, c’est trop de monde.

    J’avais réservé ma place. « Deux heures d’attente », voilà le slogan Hopper. Je râle mais j’avoue un peu honteuse que j’ai bénéficié d’un « coupe-file » et que pour ma réservation de 17h30, j’étais dans les salles à 17h10…

    Même avec ce privilège, j’ai eu beaucoup de mal à supporter la foule, l’accès à certaines petites salles était presque impossible, il fallait attendre à l’entrée que ça se désengorge... ou renoncer. J’ai eu des coups de coudes, on m’a littéralement marché sur les pieds, mon sac a été tiré et poussé…

    Tout cela, à regrets, a gâché ma fête.

     

    Mais Hopper tout de même

    Quelle magie, quelle folie…

    quelle complexité dans la simplicité,

    quel bonheur dans la tristesse,

    quel plein dans tous ces vides…

    Les mots sont dérisoires quand c’est l’âme qui ricoche sur un tableau,

    les mots sont pauvres face à l’émotion…

    eleven gd palais.JPGDans les tableaux d’Hopper certains ne voient rien, d’autres voient tout, imagine tout…

    J’ai aimé me tenir debout à tes côtés devant cette femme nue qui attend derrière sa fenêtre.

    Eleven…

    Nous dissertions, nous divaguions… pourquoi a-t-elle ses escarpins ?

    Nous vivions, spectateurs de l’intérieur.

     

    Et encore une fois : rien ne veut le vrai, rien ne vaut le vécu.

    On voit la taille réelle du tableau, on voit les coups de pinceau, on sent encore la térébenthine, on voit l’eau qui fait vivre l’aquarelle en gondolant le papier…

    Et par-dessus tout : on voit les couleurs…

    On parlera beaucoup des ombres, de la lumière d’Hopper, mais les couleurs !

    Je conviens qu’elles ne sont pas les plus criardes, mais elles sont.

    Et que les reproductions sont  pales !!

    Aucun livre du Giftshop n’a semblé à mon goût tant les reproductions des tableaux vus étaient fades…

     

    J’avance dans l’expo et retourne dans ma chambre d’étudiante

    J’avance dans l’espace et recule dans le temps, je revis chaque émotion de mon début de vie de femme.

     

    summertime.jpg

    Je me revois telle Summertime,  sur le perron de ma vie, fraîche, pulpeuse, affamée d’existence, prête à faire le premier pas, prête à entrer dans la danse, à arpenter les rues…

    Je me sens héroïne d’Hopper, comme on se sent Antigone, d’une beauté froide, d’une force irradiante.

     

    Que suis-je aujourd’hui ?

    Je ne sais pas trop.

    A quel tableau se raccrocher, où réapparaître ?essence.jpg

    Je ne sais pas trop.

    Je me repose dans le vide d’un paysage, je sais qu’on peut y faire le plein…d’énergie.

     

     

    L’exposition malgré le monde m’a entraînée.

    Elle se finit avec la gorge serrée et l’eau qui inonde le cœur : « deux comédiens ».2 comédiens.jpg

    C’est le dernier de Hopper.

    Il contient son dernier souffle, c’est son testament.

    Que voir sinon un rideau qui tombe sur une vie ?

    Hopper tient sa femme par la main, il tient sa muse et prend congé.

     

    Il tire sa révérence et moi je lui tire mon chapeau.

     

    Merci !

  • Notre Père...

    Ça fait longtemps que je pensais à lui : le père Lachaise.

    Sans le connaître, lire ses aventures, entendre son nom dès qu’un homme d’une autre importance décède, ou un homme de la haute, cela n’a pas d’importance…

    IMGP0517.JPGSans le connaître il fait partie du patrimoine imaginaire, un cimetière au sommet, à la cime d’hier, qui fascine aujourd’hui.

    Ado déjà, ces lieux me fascinaient. 

    Il faut dire que j’ai eu la chance d’en fréquenter bien peu, il faut dire que je n’ai pas appris à avoir peur de la mort…

    Et puis au hasard, découvrir que certaines stars y dorment, dans une paix toute relative, dans des monuments parfois pillés, des monuments squattés, des petites pierres laissées en signe de passage, des témoignages qui demeurent.

    De toutes mes virées à Paris je ne sais pourquoi, il n’y eut jamais de temps pour lui.

    La faute a sa discrétion sans doute, un peu en dehors des grandes routes capitales, un peu à part.

    Tellement à part.

     

    J’ai eu la chance d’y aller un jour de soleil, hors saison.

    Au printemps ou à l’automne, je me souviens à peine s’il y avait des feuilles, il n’y avait pas de deuil.

     

    J’aime ces lieux de quiétude, je ne sais pas pourquoi, dans mes souvenirs, les cimetières n’existent qu’au soleil.

    Partout dans le monde je rends visite à ces gens qui nous ont précédés, en observant leur dernier lit, on peut DSCF0768.JPGdeviner les liens, on refait parfois la généalogie.

     

    A Queenstown, Nouvelle Zélande, les tombes racontent des drames en quelques dates.

     

    En Islande, la terre est trop dure parfois pour enterrer, alors on se fait déposer et recouvrir.

     

    norvège 3.JPGAux Lofoten on sème les pierres comme on sème les fleurs, vivaces.

     

    Certains cimetières ont leur petite réputation comme la Recoleta  Buenos Aires, chaque défunt a son appartement, son petit studio, une porte, un paillasson, on a l’impression que son occupant sort la nuit, à l’abri des regards.

     

    Mais le Père Lachaise...

    Il a ce charme désuet du Vieux Paris, le temps est suspendu, seules les dates sur les pierres nous rappellent que nous sommes en 1947, ou en 1997, ou en 2012… on ne sait plus.

    On y vient se balader, manger un sandwich sur un banc entre amis, on y vient visiter d’autres amis qui ne répondent plus à nos messages et qui laissent flétrir les fleurs sur leur carré.

    On y vient pour tuer le temps, laissant lâchement le corps du délire derrière un arbre.

    IMGP0535.JPGOn y vient pour se voir, partie d’un monde tellement plus grand, poussière devant les Molière, on vient y refaire le monde, les amours que l’on chope, Chopin, encore un détour, jusqu’à ce que vienne notre tour.

    Je ne suis pas certaine que tu sois là, mais j’aime te suivre, j’aime que la mort nous relie dans une telle douceur.

    Des touristes passent, en groupe, guidés, ils semblent à l’extérieur.

    Moi je suis sur ce banc et je vis, je vis le moment, je vis l’endroit, il n’y a plus d’endroit ni d’envers, à l’envi, envers et contre tout, contre toi, je suis là.

    Entourée de ces anciens, je me sens bien.

    La mort sous marbre n’a rien de macabre.

    Je regarde Paris au loin, je ne pense à rien, j’ai juste ma place, une place à la largeur de mes fesses : ma place dans cet univers. Je ne suis rien mais je ne suis pas moins.

    Je regarde Paris au loin. On ne peut pas dire que c’est beau, du haut de la bute, devant le crématoire, on ne voit pas si loin, on ne voit pas si bien, on voit la ville, la vie, on voit le vrai, pas les monuments de la vitrine.

     

    IMGP0520.JPGSi l’on me demande ce que j’ai vu au Père Lachaise, je pourrais décrire quelques tombes, les plus anonymes, les plus humbles étant les plus émouvantes, laissant la liberté de l’imagination, laissant encore, malgré la mort, tous les possibles sur leur propriétaire exister.

     

    Si l’on me demande, je pourrais parler des tombes célèbres, des sculptures originales, oui, mais il faudrait que je me concentre.

    Je pourrais me baser sur quelques romans, que n’a-t-on pas écrit ?

     

    Mais si on me demande de parler du Père Lachaise, je serai muette, comme une tombe.

    Parce que ce lieu impose le silence, tant il nous parle à l’intérieur.

    Ce que je sais, c’est que j’y étais, c’est moi qui ai vécu.

     

    A m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi

    Et regarder les gens tant qu'y en a...

     

    Ou debout, les pieds bien ancrés dans le sol, le regard jeté dans les rues de la capitale, Rastignac, c’est moi…

     

    « Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine où commençaient à briller les lumières. Ses yeux s’attachèrent presque avidement entre IMGP0522.JPGla colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses : "A nous deux maintenant !"

    Et pour premier acte du défi qu’il portait à la Société, Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen. »   H. de Balzac

     

     

    Donne moi juste encore la main…

    Donnez moi juste encore demain…

     

    Au nom du Père

    Et de tous les seins d’esprit

    Qu’il fut bon de me perdre

    Qu’il fut doux de se retrouver

    Au nom du Père

    Donnez moi Lachaise

    Que je me repose

    Enfin !

     

  • Fille des villes, fille d’exil

    Moi je suis née dans les champs, je suis une fille « des prés » plus précisément…

    Moi, j’aime le calme et la campagne, je ne me sens jamais seule avec moi-même, la foule m’oppresse.

    Pourtant, j’aime passer inaperçu, pour mieux observer, pour ne pas déranger.

    Pourtant j’aime les villes, les très grandes, comme des objets surréalistes, comme des mondes dans le monde, à conquérir, à dominer, à maîtriser.

    Je regarde les hommes y vivre en fourmis, je regarde ces concentrés de société, ces débuts et ces fins, une grande ville est un monde clos, je l’observe de l’intérieur, j’en fais partie mais je ne lui appartiens pas, je repartirai par le prochain train, le prochain avion, demain.

     

    J’aime Paris comme le fond de ma poche, il y reste toujours une miette, un reste de vécu ou un reste à vivre.

     

    J’aime aussi découvrir d’autres villes, lire les plans, me diriger et par-dessus tout : marcher dans les rues, vivre IMGP2134.JPGcomme les drôles de manteaux qui marchent, être un parmi ceux, me faire croire que je ne suis pas dans la ville, mais plutôt qu’elle est en moi, que je Vis la ville.

     

     

     

    Sur des lignes imaginaires

    Qui vont de New York à Denver

    Marrakech et Vancouver

    ( Nino Ferrer )

     

     

    Vu hier soir « Nous York » de Géraldine Nakache. Qu'importe le film, il y avait la ville.

     

    J’aime New York et je connais assez cette vieille dame pour reconnaître les

    rues que l’on met dans les films comme des clichés, mais il y a encore tant à découvrir, ou à revisiter..

     

    IMGP1578.JPG

    m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi

    Et regarder le soleil qui s'en va

    Te parler du bon temps qu'est mort et je m'en fou

    Te dire que les méchants c'est pas nous

     

     

    IMGP1582.JPGm’asseoir sur un banc,

     

    et regarder la  femme qui lève le bras

    Elle salue les entrants, elle salue les sortants, dans la Vie on n'est pas toujours gagnant...

     

     

     

    A m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi

    Et regarder les gens

    tant qu'y en a

     

    juste se dire que je suis là...

    que je suis là avec toi

    que c’est Nous York again

    que c’est Nous York for ever

    que Nous Love

    IMGP1684.JPG

     

    ( photos : Jeanne Magnani, New-York, novembre 2011)

     

  • Loca-Terre

    A qui appartient le monde ?

     

    Souvent, en discutant avec ma grand-mère, je la regarde en souriant, avec empathie, je l’écoute, entre admiration et lassitude.

    Elle parle, je l’écoute, la frustration est cependant souvent au rendez-vous.

    J’aimerais partager, partager vraiment, mais souvent je ne fais que prendre en me disant que je profite, très rarement je peux donner, à défaut de quelqu’un pour recevoir.

    Je me dis souvent qu’elle est morte en même temps que Lui, que sa vie s’est arrêtée lorsqu’il nous a quittés. Tous ses souvenirs datent d’avant, lorsqu'ils étaient deux, tous ceux qu’elle aime raconter du moins : les vacances en Tunisie, le camping à Harprich, les bals de la cité des Cheminots…

    Pourtant elle ne se sent pas décalée, pour elle, tout cela, c’était hier, certains hiers étant plus éloignés que d’autres.

    Toutes ses expériences conservent une actualité jamais remise en cause.

    Elle pense que sa Tunisie existe encore, elle voit le sol des salles de bal où on jetait la cire en poudre pour mieux virevolter.

     

    Je n’ai pas le droit de lui dire que son monde n’existe plus…

     

    Un jour, c'est sûr, on oubliera

    Qu'y avait des banquises et le froid

    Des oursons blancs dans nos bras

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    Un jour, y aura que toi et nous

    Pour prier le soir à genoux

    Que la terre ne nous brûle pas

     

    Un jour, c'est sûr, on oubliera

    Qu'y avait des grêlons, des frimas

    Une mer de glace pour toi et moi

     

    Un jour, c'est sûr, on oubliera

    Qu'y avait des neiges éternelles

    Des hivers longs, des hirondelles


    Un jour, c'est sûr, on oubliera….

     

    ( Des Oursons Blancs Dans Nos Bras -  Yves Simon )

    Je regardais le gris de ses yeux, écoutais le grain de sa voix, en me disant qu’un jour je ne serai plus en mesure de le faire…

     

    C’est vrai qu’elle est dans son monde ma grand-mère.

    Il est rempli d’émotions son monde.

    Plus personne ne le changera, plus personne ne lui volera.

    Elle nous laisse entrer.

    Un peu.

     

    Mais il appartient à qui, le monde ?

     

    J’ai quarante ans de moins qu’elle mais suis-je vraiment DANS le monde ?

    Moi aussi je commence à ne garder du monde que ce qui m’intéresse, à fermer les yeux sur ce qui gène, ce qui est moins beau, moi aussi je commence à laisser le monde passer.

    Je ne pourrai pas le changer, je n’ai que ton cœur à entretenir.

     

    Enfant on attend, on attend d’être grand, on prend notre respiration....

    Puis le temps passe.

    Et le monde passe…

     

    Je ne sais pas à qui appartient le monde…

     

    Nous ne faisons que passer
    Dans l'ombre et la lumière
    Nous ne faisons que traverser
    Des océans des déserts

     

    ( Help myself ! - Gaëtan Roussel )ombres-lumiere-islande-m.jpg

    Je suis déjà vieille, je n’y suis déjà plus.

    Egoistement, je m’en moque…

    Je vis, je croque.

    Et je comprends mieux ma grand-mère.

     

    Je regrette juste que les générations ne puissent que se juxtaposer, se succéder, on se passe un témoin mais on ne court pas ensemble.

     

    Finalement, qu’importe à qui appartient le monde…

     

    Nous le traversons.

    Qu’importe que l’on ne fasse que se passer le témoin..

    Comme une course de fond, nous nous partageons la médaille,

    nous nous partageons la mémoire…

     

     

  • for(t) intérieur

    Je n’ai que mon corps,

    À offrir au regard du monde,

    Rien que mon corps

    Et son ombre.

    Je l’ai arrondi,

    Illusion de douceur,

    Je passe dans cette vie,

    J’voudrais pas vous faire peur.IMGP2032.JPG

     

    Je n’ai que mon corps,

    Une enveloppe discrète,

    Mais lorsqu’il sera mort,

    Attention à qui me dissèque.

    Je n’ai que mon corps ,

    Et je ne laisserai rien

    Que des bonheurs orphelins,

    Pardonne-moi mon amour de te lâcher la main.

     

    Si l’on ouvre mon cerveau on verra

    Les chemins que je n’ai pas suivis,

    Les cailloux sur lesquels j’ai trébuché,

    Les existences que j’aurais pu faire miennes,

    Envisagées l’espace d’une nuit,

    Evanouies au lever de la Raison.

    Je n’ai que mon corps

    Et je ne t’ai jamais accompagné aux diners du siècle,

    Tu ne m’as plus souhaité mon anniversaire, après la messe de 20 heures,

    Je n’ai pas bu à la santé de ton dernier roman,

    Je n’ai pas fais monté les enchères,

    Je n’ai pas applaudi,

    Je n’ai pas repris en chœur le refrain de ce gospel...

    J’ai gouté ces possibles, avancé sur des rives,

    Mouv-hantes,

    J’ai regardé par la fenêtre le vent qui soulève les rêves de mieux,

    Ecarté les rideaux pour bien voir la poussière de Fata Morgana.

    J’ai fermé les yeux et j’ai avancé.

    J’ai laissé partir les trains,

    Je t’ai regardé sur le quai,

    Emportant avec moi

    Les émois.

    Je me suis promenée sur la crête

    Pour regarder l’océan,

    J’ai tendu la main, écarté les bras pour serrer l’univers,

    Je regarde tous les « j’aurais pu »

    Comme on contemple, satisfait, ses enfants doucement s’éloigner pour faire leur vie.

     

    Si l’on ouvre mon cerveau

    On verra sans doute ce que je me suis jurée de ne jamais oublier,

    Mais si l’on ouvre mon cœur

    Qu’on ne s’effraye pas de sa taille

    Il fallait bien cela pour cacher mon bonheurIMGP2134.JPG

    D’avoir suivi ton p’tit bout d’chemin.

    Si l’on ouvre mon cœur,

    Qu’on fasse bien attention

    Il y a un endroit, beau et fragile

    Un endroit qui battra encore

    Et encore

    Même après le raidissement du corps

    Un endroit doux et chaud

    Qui porte ton nom : Kinogo.

  • tic tac, tic tac

     

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    On oublie si facilement

    Que le corps n'en fait qu'à son corps

    Que la tête n'en fait qu'à sa tête

    Et qu'entre les deux, le coeur balance

    Des coups dans la poitrine,

    Des coups dans l'dos

    Jusqu'à ce qu'il s'oublie.

     

     

    (texte 30 juillet 2012 dans le ciel entre Paris et Bangkok
    photo 12 aout 2012, site de Angkor )