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Je me fais un devoir de passer du temps avec ma grand-mère, 84 ans maintenant.
Un devoir, c'est comme une obligation, c'est vrai que je me force un peu, parce qu'inévitablement je sais que ces visites vont prendre fin un jour.
Je vais la voir pour l'écouter. Dès que quelqu'un passe sa porte, sa langue se délie, la solitude brisée, c'est une irrépressible logorrhée. Ce n'est pas un dialogue, c'est vrai qu'elle est un peu sourde, elle est si pressée de raconter et de re-raconter qu'elle écoute peu ce qu'elle n'entend pas. Elle raconte tout à partir de ses 14 ans, lorsque, certificat d'étude en poche, elle alla travailler dans un atelier de confection, c'était là le vrai début de sa vie. De 14 ans jusqu'en 1995, date du décès de son grand amour. Elle n'a plus de souvenir au-delà, vivre sans Lui n'est que lui survivre.
Et hier une phrase :
" - on habitait Buchenwald "
Perplexité. Se pouvait-il que, bercée par le ronronnement répétitif de sa voix, je me sois endormie à ce point ? Je sais qu'elle passait clandestinement en Belgique, ramenait quelques morceaux de d'étoffes et de chocolat, je sais qu'elle allait en train en Normandie, chercher du beurre et autres produits fermiers mais ce n'était qu'une enfant, pas une résistante, pas juive, pas communiste, pas noire, comment pouvait-elle se retrouver à Buchenwald, j'ai vraiment du dormir, ou mal comprendre....
Devant mon visage perplexe, elle m'explique :
" C'était un ancien camp de prisonnier, on appelait ça Buchenwald, on habitait dans les anciennes baraques..."
J'ai fait des recherches, aucune trace de ce surnom local. Le commandement allemand avait ordonné la construction du camp de Méricourt sous Lens et interné un millier de prisonniers russes, employés dans les mines voisines.
D'où vient ce surnom de Buchenwald ? Est-ce ironie ou empathie ?
Qui peut savoir vraiment ce qu'est la guerre sans la vivre ? Qui peut juger ?
On trébuche sur les mots, s'indigne à raison d'un "détail" mais on ne peut décimer les dictionnaires parce que des tortionnaires ont souillé le vocabulaire.
Il n'y avait plus de logements, après les bombardements, toute baraque debout était un palace, alors oui, les civils ont investi ces lieux de douleur et les cris des enfants couvraient le souvenir des râles soviétiques. Ce nom de Buchenwald, je le prends comme un hommage, un refus de l'oubli malgré la transformation des lieux.
Il nous reste tant à apprendre, il nous reste tant à comprendre, et les vieux s'en vont.
Encore des mots, toujours des mots Les mêmes mots... Rien que des mots Des mots faciles des mots fragiles ...
Bien sûr il y a nos défaites Et puis la mort qui est tout au bout Nos corps inclinent déjà la tête Étonnés d'être encore debout Bien sûr les femmes infidèles Et les oiseaux assassinés Bien sûr nos coeurs perdent leurs ailes Mais mais voir un ami pleurer!
(Jacques Brel )
Mon grand-père était déjà malade, il était encore debout mais sa voix était déjà partie.
Ma grand-mère raccompagnait quelqu'un à la porte, mon père -je crois- a glissé quelques mots à l'oreille du sien.
Je ne sais plus bien, j'étais sur le canapé, je passais le temps quand il s'est suspendu, le temps, à cet instant où j'ai vu mon grand-père pleurer.
Comment un homme comme lui pouvait pleurer ?
Je n'avais pas de détail sur sa maladie, je culpabilise de n'en avoir demandé aucun, mais quel enfant a ces préoccupations ?
Je le savais colosse aux pieds d'argile, toujours tendre et généreux, bien que taiseux, mais comment pouvait-il pleurer ?
J'ai été bouleversée et je le suis encore, vingt-cinq ans plus tard.
J'entends encore sa voix, cassée, son souffle court et sa gorge étranglée par l'émotion.
J'ai tout de suite compris qu'ils parlaient de vie, ou plutôt de mort, la sienne n'était plus qu'une question de temps.
Il pleurait et répétait « je ne veux pas la laisser »
Peut-être disait-il « je ne peux pas la laisser ».
Parfois on ne peut pas, parfois on ne veut pas, mais les choses arrivent, nous arrachent le cœur, nous arrachent à la vie.
Il était prêt à partir, mais pas à la laisser.
Émue de leur amour.
Il m'a fallu des années pour comprendre l'abîme de ces mots.
Se faire à l'idée de notre propre mort, ce n'est pas si difficile, on n'a pas le choix de toute façon.
Mais on culpabilise toujours de la peine qu'on va faire, on se demande comme l'aimé va faire.
J'aimerais être là pour toi, mais je sais que je ne le serai plus...
Dis-moi que tu sais, fais-moi croire que ça ira et partons voir plus loin.
"Il y a, je crois, dans l'existence, un point de cécité qui en fait un perpétuel commencement en sorte que, bien que tout soit déjà dit, tout reste encore à dire. C'est là qu’apparaît la fécondité de ces métaphores essentielles où la vie et la mort se conjuguent sans qu'il soit possible de dire laquelle a surtout nourri l'autre."
Il est revenu, dans nos vies et sur les étals des libraires : Gaston-Paul Effa publie chez Gallimard « rendez-vous avec l’heure qui blesse ». Nous (re)découvrons le destin emblématiquement tragique de Raphaël Elizé, vétérinaire d'origine guadeloupéenne, premier maire noir en métropole, son métier et son engagement politique ayant comme point commun l'amour du vivant. La guerre nous embarque dans un wagon à bestiaux pour un voyage d'où peu reviennent : Buchenwald. Les pages défilent, les supplices s’enchaînent. La noirceur de la peau qui refuse à l'être son rang d'homme affronte la noirceur des âmes nazies qui ignorent l'idée même d'humanité.
« Connaissant ce qui, jadis, dans la nuit de la traite transatlantique, avait déjà eu lieu, il ne me restait qu'à assister à la répétition de l'histoire. Ce que nous vivions à chaque instant m'apparaissait comme déjà vécu. C'était pour moi un grand réconfort de savoir que je n'avais pas à intervenir dans le déroulement des événements ni à engager ma responsabilité mais que mon rôle de traducteur faisait de moi le témoin de notre aventure. »
Tout apparaît déjà perdu, et pourtant...
Raphaël Elizé résistera, à sa manière, même si nous avons tous, un jour ou l'autre, « rendez-vous avec l'heure qui blesse »
La tentative de « critique » pourrait s'arrêter là, mais voilà...
On dit que Gaston-Paul Effa a écrit une quinzaine de romans déjà... c'est faux : c'est son premier. Le premier où ne se cache plus derrière le narrateur, plus d’étudiant africain déraciné gardien d'une tradition qui s'éloigne. Cette fois il se glisse dans la peau d'Elizé en racontant son combat pour être reconnu et accepté en tant que vétérinaire dans sa campagne sarthoise, car la couleur de peau étant la première chose qui s'offre aux yeux, trop de monde oublie encore de regarder avec le cœur. (Est-ce d'ailleurs si différent ?)
On pourrait penser aussi que c'est un livre d'histoire qui éclaire des heures plus sombres que les heures sombres, il n'y a pas de hiérarchie dans l'horreur mais qu'est-ce que quelques noirs devant des millions de Juifs... non, ce n'est pas non plus un roman historique, c'est un roman humain : Gaston-Paul Effa se glisse non seulement dans la peau l'Elizé mais surtout dans sa tête, en maïeuticien, il nous plonge dans les tréfonds de l'âme humaine, et fait resurgir des expériences passées nos connaissances pour demain.
Rendez-vous avec l'heure qui blesse n'est pas un roman « noir »,
Des souvenirs nous hantent, viennent et reviennent titiller nos nuits, dévaster nos vies.
D'autres s'évanouissent on ne sait où, au point de douter, de penser que cela n'a jamais existé, l'oubli pire que la mort : le déni de bonne foi.
Et ce qu'on ne voudrait jamais oublier : la voix des êtres chers...
"Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L'inflexion des voix chères qui se sont tues"
( Verlaine – mon rêve familier )
On se concentre pour entendre encore les échos au plus profond de notre âme, dans un repli du cœur et puis un jour on n'entend plus cette voix, on la croit partie.
C'est faux, la voix reste en nous, tous les sons aussi, on ne les entend plus mais ils sont là, à portée de pleurs.
On ne les entend plus mais on saura les reconnaître, parmi cent, parmi mille, parmi des millions.
Sons uniques, imprimés en moi.
Comme une voix qu'on n'a pas entendu depuis si longtemps que l'on reconnaît à la première seconde, même avant que ne sonne le téléphone.
C'est en moi.
C'est à moi.
Un homme me gamahuchait.
L'ordinateur jazzait doucement, pour accompagner le mouvement.
Passait, en fond sonore, la bande originale de ma première fois.
Nous en étions arrivés là.
Se faire gamahucher au bord du lit, au bord de la Vie.
Un coup de langue comme un coup de poignard.
J'en étais arrivée là.
J'étais arrivée.
Boucle bouclée, pensais-je.
Comme une fin.
J'étais morte, comme Weronika.
J'ai encore la cassette audio de la première fois.
Je la regarde et elle ne fait pas de bruit.
Je la regarde et je n'entends rien.
Elle contient mon essence, là où tout commence et où tout finit, du début de la femme à la fin du mélodrame.
Mélodrame : genre théâtral caractérisé par l'emphase du style, l'exacerbation des émotions, le schématisme des ressorts dramatiques et l'invraisemblance des situations opposant des figures manichéennes. Les élans dramatiques étaient par ailleurs soulignés par des plages musicales et le paroxysme y était allègrement employé pour susciter l'émotion du spectateur. Ce genre est presque immédiatement utilisé dans le cinéma muet.
Un autodafé, c'est d'abord un actus fidei, un acte de foi.
Mais comme l'inquisition ne donnait guère de choix dans la foi et finissait par brûler toute suspicion, le feu pour purification, expiation...l’autodafé est devenu destruction.
On connaît peu Diego de Landa, un moine franciscain envoyé évangéliser le Yucatán, qui fit brûler d'inestimables Codex Mayas en 1524, comme si effacer la mémoire modifiait le cœur...
On connaît plus le grand autodafé du 10 mai 1933 à Berlin, brûler les ouvrages des grands auteurs juifs pour nier leur contribution à l'humanité, tenter d'effacer tout ce qu'on pourrait devoir à l'autre et se purifier de ces odieuses pensées... Jeter des livres au feu en criant des hourras, cracher encore pour attiser les flammes, et Goebbels très fier qui annonce l'avènement d'un nouveau monde, sans souillures....
Je suis allée à Berlin.
J'ai posé mes pieds à l'endroit...
Au milieu des pavés, un mètre carré vitré, une bibliothèque, virginale, vide...
Et une plaque de cuivre où l'on peut lire la citation prémonitoire de Heine
« Dort, wo man Bücher verbrennt, verbrennt man am Ende auch Menschen ».
Comment imaginer, en 1820, que là où on brûle des livres, on finira par brûler des hommes ?
Je ne vais pas revenir sur la barbarie, sur l'extermination.
Pour moi, brûler un livre, comme brûler un drapeau, c'est plus qu'un symbole, c'est pour moi d'une violence inouie, non par la douleur physique, mais par les objectifs du geste : nier l'autre, l'effacer, tenter de se purifier...
Les pieds à l'endroit, je regarde autour de moi, dans le froid de l'hiver tout est calme, propre, la vie ne s'est pas consumée, l'Allemagne s'est relevée.
Et nous n'avons pas oublié.
Je me demande souvent ce qui restera de moi quand je ne serai plus que cendres... Pas grand chose de tangible, rien vraiment de palpable mais de l'inéfable j'espère, de l'inéfaçable, dans le coeur de ceux qui m'ont aimé, que j'ai croisé...
Ce n'est pas orgueil de l'écrire, je sais que ces souvenirs seront blessures pour eux. Il faut transformer la douleur en douceur, la chaleur du moment partagé, le poids du réel, que même les flammes ne sauraient effacer.
J'ai "écris un livre" qui s'intitule autodafé... J'avais besoin, à un moment de ma vie, de brûler mon idole, de me purifier peut-être , même si on ne retrouve jamais sa virginité.
Autodafé comme acte de foi, je crois en moi, je crois en toi. Je tourne la page et j'avance. Je suis en Vie.
« Mon grand-père disait que pour les Noirs la peau est un mystère insondable, et il le disait sans chercher à savoir si nous comprenions, ni si, à Lamentin, on se souciait de la peau des esclaves, la mer, seule, évoquait quelque chose pour nous puisqu’elle n’était jamais bien loin, qu’elle nous nourrissait, qu’elle n’aurait jamais fini de charrier nos expériences originelles. Ce que voulait dire mon grand-père, c’était peut-être que la peau d’autrui et sans doute la sienne, et aussi la mienne aujourd’hui, est un détroit où l’on ne peut que se perdre »
Gaston-Paul Effa « rendez-vous avec l'heure qui blesse »
La peau d’autrui … est un détroit où l’on ne peut que se perdre...
La peau d’autrui … est un détroit où l’on ne peut que se perdre...
LA PEAU D'AUTRUI...
EST UN DETROITOU L'ON NE PEUT QUE SE PERDRE...
Je relis cette phrase, encore et en corps, je sais que la clef est là, dans la peau, depuis toujours.
Réceptacle de tous les mots, doux,
exutoire de tous les maux, fous.
Le chasseur utilise l'appeau pour attirer sa proie, effroi
Le lover utilise la peau pour attirer la soie, émoi.
« je t'ai dans la peau » répétera la midinette,
« je t'ai dans la peau », lui répondra la tatoué
« Je suis bien dans ma peau » semble crier la jeune-fille nue à la fenêtre..
Et ma peau à moi elle dit quoi ?
Peau de chagrin ?
A fleur de peau !
Jouer sa peau ?
Je tiens à ma peau !
Etre dans la peau d'un personnage ?
Peau de vache !
Dans le grain de ma peau on peut tout lire :
la génétique héritée,
mes grains qu'on dit de beauté qui conduisent à la folie lorsque l'on veut les compter, qui ramènent à la poésie lorsque l'on veut les conter,
mes boursoufflures et mes rides, nés des excès de plaisir, d'excès de rire, d'appétit de vie
mes cicatrices, les petites et la grosse, une bataille gagnée mais guerre n'est jamais finie.
J'aime ma peau et ses défauts qui font qui je suis.
Un signe de toi...
L'appeau fonctionne,
ma peau frissonne,
sceau d'homme et go more....
Ta peau à toi...
Elle me hante,
Elle me manque,
Elle me tente...
« Montre-moi encore Le monde à l'envers L'envers de ton corps Me donne des vertiges
Sous ta peau Douce et lisse Tu me laisses Entrevoir Les coulisses Où tout se passe »
( « sous ta peau », M. )
La peau d’autrui … est un détroit où l’on ne peut que se perdre...
Parfois aussi c'est un endroit où l'on se retrouve, soi, où l'on retrouve l'enfant que l'on était, celle qu'on était avant de devenir, la peau originelle où erre le fantôme de l'hymen. Un endroit chaud où se blottir. Régresser. Progresser.
Une caresse et un monde de soupirs s'ouvre : douceur des souvenirs, douleur du devenir.
Ta peau, comme j'aime m'y perdre quand on se retrouve...
Illusion de fusion, je sais que je me consume mais j'assume, serait-ce si beau si ce n'était pas vain ?
Ta peau restera à jamais mon drapeau,
un étendard au loin,
un phare réconfortant qui me rappelle d'où je viens,
mon héritage, mon héros pas sage.
Jusqu'au dernier soupir, jusqu'au dernier souffle,
D'aussi loin que je me souvienne, chez mémé, on boit du café.
A toute heure.
Au litre.
J 'ai des souvenirs qui remontent avant ma première gorgée.
Mémé préparait le café à partir de grains, le café c'était donc déjà d'abord un concert, pas très harmonieux, mes oreilles ont connu mieux.
On sort les tasses Arcopal à petites fleurs bleues, et tout le monde se regroupe autour. On verse le breuvage noir et les langues se délient, élixir amenant les souvenirs, élixir éclairant l'avenir.
Le café fait le lien entre les hommes, Zola dans Germinal évoquait l'attachement des mineurs pour leur petit noir. Pour ces gueules de la même couleur, le café était une denrée aussi importante que le pain, allongée ou pas avec de la chicorée.
« Tous les jours les femmes dins les corons
chacun lu tour s'invitent à lu mason
A pein' qué s'n homme i-a torné l'coin dé l'rue
in vot Simone un bot eun' goutte d'jus
ed'pus aïer i'n'n'a à s'raconté
et ch'est bin miux in buvant sin café »
J'ai toujours bu du café, au litre.
Rien à voir avec les expresso, chez mémé la convivialité est diluée. Ce n'est pas non plus du jus de chaussette, rien à voir avec le jus de dosette, non, c'est le café de mémé.
La boisson compte moins que le moment, le breuvage compte moins que le partage.
« L'café d'ichi té l'bos fauque à chuchette
Hmmm ch'est du bon ch'est point du jus d'cauchette
All'z'ont du faire un stage à l'Brésil
Car lu café ch'est pas dé l'camomille »
Mémé ne demande pas si on veut un café, elle en fait et on en boit, ça fait partie de la visite, ça fait partie de notre rite.
On peut prendre du lait.
Ou pas.
On peut prendre du sucre.
Ou pas.
Mais si on prend du sucre...
Chez mémé, on boit son café à la sucette.
Sans cuillère.
C'est tout un art, de tremper son sucre dans son café.
Quelques secondes pour l'imbiber, pas trop le plonger, pas trop longtemps. Le café tente de remonter par capillarité, le duel est lancé. Sans tarder on place le sucre sur la langue, on approche la tasse des lèvres et l'on procède au mélange, magique, dans la bouche seulement. Le sucre continue de fondre, libérant ses substances édulcorées, le café passe, des lèvres à la gorge, emportant avec lui le doux encore un rien croquant.
On ne boit pas un café sucré chez mémé, on boit un café avec du sucre.
Mémé avale son café et se tait. Elle semble partie ailleurs. Elle déguste son café, elle en a tant dégusté dans sa vie, des cafés, des bonheurs et des douleurs.
Encore une gorgée de café noir, et le sucre fuit comme un rêve...
Mémé revient parmi nous et l'on poursuit la conversation.
Elle a fait beaucoup de chemin, mémé. Et elle est encore là.
J'ai fait beaucoup de chemin aussi. Et je suis encore là.
« Qué d's escuss's pou faire eun' tiot' parlote
J'n'a pus d'thym i m'minque eune échalotte
Hûreus'mint qu'dins chaqu' mason dé l'rue
el' caf'tière alle est toudis su l'fu
cha réconforte d'avoir eun' bonn' voisine
Qu' cha sot Frinçoise Suzanne o bin Pauline
Allez Nelly arvers's me z'in eun' tasse »
Nous continuons à boire du café, à toute heure, au litre.
Même si, à quatre-vingt ans passés, elle réduit les quantités, même si elle plus attention à l'heure, même si elle ne prend plus qu'un demi-sucre par tasse...
Mémé n'a plus la force de casser ses morceaux de sucre en deux, ses muscles faiblissent avec les ans, ses doigts sont moins agiles avec tous les traitements.
A chaque fois que je vais chez mémé, discrètement, je me mets à casser tous ses morceaux de sucre en deux, pour lui faciliter le café pendant quelques jours, à défaut de lui faciliter la Vie pour quelques années.
Je sais que mon père fait de même lorsqu'il va la voir.
Casser du sucre pour mémé, c'est un tout petit geste, un geste de rien, mais qui me fait tellement de bien.
Ma façon de dire à mémé que je l'aime, ma façon de très humblement m'occuper d'elle...