Elle n’employait jamais ces mots avec nous, ses enfants.
Je ne l’ai pas souvent entendu prononcer ces mots avec eux, ses parents.
Je ne sais pas bien ses relations avec la langue de Goethe, qu’elle apprit à la fac, du temps où peu de femmes allaient à la fac et que l’on parlait, que l’on baragouinait plutôt, en patois, par chez nous.
Mais elle a employé ce terme, « sputzkuch », maman.
Et ce mot étranger a réveillé des souvenirs familiers.
Ce mot ce que j’ai compris sans vraiment le connaître m’a plongée dans un hier doux, gorgé de vie, aux éclats de voix, aux éclats de rires assourdissants…
Une sputzkuch….
Une tarte aux cerises, anodine, avec sa pâte brisée commune et sa migaine presque triste, une tarte aux cerises magnifique, au gout de madeleine, façon Proust.
J’ai bien vu qu’elle parlait de tarte aux cerises, ce n’est que plus tard que le mot sputz a ricoché dans mon cerveau…
Je sputze, tu sputzes, il sputze, nous psutzons en chœur…
Et tout le monde crache !
Parce qu’on laisse les noyaux dans les cerises, on recrache sans cesse…
Une tarte de la campagne, parce qu’à la ville, recracher manque de distinction, comment faire pour garder la face en ressortant quelque chose de la bouche ? Une tarte sans manière. Une tarte vraie !
Ma jeunesse est clairsemée de tartes à la cerise, ou de crèpes « kirchpankuchen ». Parce qu’on a toujours eu des arbres fruitiers, parce qu’on a toujours consommé des fruits et des légumes de saison. Mes préférées étaient les Napoléon. J’ai toujours aimé ce qui était charnu et ferme, de la texture, du gout…
J’ai 8 ans et je me balance… sur la balançoire… mes pieds arrivent presque aux feuilles du cerisier… à chaque fois que mon corps s’avance j’imagine que le jus des fruits dégouline dans ma bouche.
J’ai 8 ans et il n’y a que de la gourmandise, par de perversion ni de sensualité.
J’apprends la patience : celles-ci ne sont bonnes que noires….
Puis, un jour, un bol sur la table de la cuisine…
L’extase simple. Le gout des choses. La Vie.
Les cerises, c’est le début de l’été… les rayons du soleil entre les feuilles, vertes.
Les cerises c’est la complicité…
Sputzen…
Un, deux, trois : crachez !
Avec mon père, sous les cris faussement choqués de ma mère nous sortions sur le petit balcon pour cracher les noyaux, le plus loin possible. On faisait des concours sans arbitre, avec ma sœur, puis mon frère. Personne ne gagnait. Mais il fallait reprendre un bout de tarte pour la revanche, ou une pankuch de plus….
Le sourire me vient et les larmes derrière…
C’était tout bête, c’était si bien…
Pas besoin de vacances à l’autre bout du monde, dans ces moments là je n’avais besoin de rien pour être heureuse, que ma famille et un bol de cerises…
Je vous aime.
Merci.
C'était si bête, c'était si bien....
Viens dans mon jardin... j'ai acheté des cerises...
Commentaires
En voilà un texte ravissant. Je fus à une autre époque une de ces personnes qui ne croient en rien. J'ai récemment réalisé que même dans les heures les plus sombres de l'existence il n'est pas plus grand réconfort que ces souvenirs ensoleillés de temps plus simples, entourés d'amour.
En voilà un texte ravissant. Je fus à une autre époque une de ces personnes qui ne croient en rien. J'ai récemment réalisé que même dans les heures les plus sombres de l'existence il n'est pas plus grand réconfort que ces souvenirs ensoleillés de temps plus simples, entourés d'amour.
je comprends mieux pourquoi j'adore les cerises: pour leur petit côté insolent : spützer encore et encore!