Je suis une archéologue de l’époque contemporaine. J’aime observer les traces de vie, les traces que la vie laisse, sur les sols, sur les corps, les pierres érodées par la pluie, par le vent et les corps courbés par le temps, coupés et recousus, marqués mais pas foutus.
Tous ces petits détails insignifiants aux yeux des communs hurlent leur histoire à qui sait les voir.
J’aime les vieilles usines, les lieux abandonnés, ils témoignent d’une humanité oubliée.
Je les imagine pleins de vie, je les entends encore respirer.
Les machines se sont tues, tout est calme, il n’y a plus rien. Les derniers témoins s’éteignent, les anciens racontent encore, pour combien de temps ?
En me promenant à la Völklingen Hutte, je pense à nous.
Lorsque je ne serai plus là pour dépoussiérer mes souvenirs, que restera-t-il de nous ?
Je regarde ces carcasses envahies par la végétation, des ronces piquantes et impénétrables par endroit, des belles fleurs sauvages à d’autres.
Bruno m’a demandé si on s’était déjà rencontrés. Était-ce une blague ou un trouble passager de la mémoire ? J’aurais pu me vexer mais je sais que les souvenirs communs n’existent pas, chacun a le sien, son vécu propre même si le moment a été partagé. La question m’a plutôt effrayée. Serait-ce possible que tout ce réel s’évanouisse ? Les limbes de son cerveau m’effacent, je reste gardienne de nos rencontres, mais sans personne pour confirmer, peut-on dire que cela a vraiment existé ?
L’ancienne cokerie a été abandonnée à la nature. Cet endroit infernal pour l’ouvrier à cause de l’extrême chaleur, du bruit et de la pénibilité physique du travail s’appelle aujourd’hui « le paradis », les oiseaux piaillent et l’herbe envahit tout.
Que restera-t-il de nous ?
Aujourd’hui des milliers de visiteurs viennent rendre hommage aux forçats de l’acier, le site est classé au patrimoine mondial de l’humanité.
Mais nous, que restera-t-il de nous ?