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Gisèle

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Ça fait un an que mamie est partie.

Ceux qui me connaissent savent que je déteste cette expression, partie où ? Elle va revenir quand ? Tout cela n’est que mensonge, mots mielleux qui ne font pas aller mieux. On le sait, mamie est morte, ratatinée, en cendres, dispersée. En plus je ne l’ai jamais appelée « mamie », dans la famille on disait « mémère » comme il était de coutume dans le Pas de Calais d’où elle est originaire. Mémère ça fait bouseux, mais c’est justement ce qui fait le beau de ce surnom, mémère c’est authentique, mémère c’est sincère, toute une histoire familiale dans cette appellation chaleureuse et bienveillante.

 

Mémère est donc morte il y a un an, après 93 ans d’une vie bien remplie, vie qui s’est toutefois déjà un peu arrêtée à la mort de son grand amour, pépère, 29 ans auparavant.

Mes amis virtuels de Facebook suivaient ses bons mots involontaires, ses approximations de langage poétiques, où Angela Merkel devenait la Mère Caisse, où le café-klatch traditionnel ( bavarder autour d’un café, cancaner ) devenait un musclé café-catch.

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Au premier janvier, à son anniversaire, elle buvait encore une coupe avec nous, elle avait mis du rouge sur ses lèvres. Elle a décliné en quelques semaines, le crabe qui nous l’a laissée pendant quinze ans a fini là son travail. Elle n’a pas beaucoup souffert, elle avait fini sa vie. On a eu le temps de se faire à l’idée, le temps de lui dire au-revoir. Je l’ai vue avant qu’elle ne sombre, elle ne parlait plus, elle avait du mal à rester éveillée, je lui ai dit de ne pas se faire de souci, que cela allait aller pour moi.

Il ne lui restait plus rien à vivre, elle répétait sans cesse qu’elle avait eu une belle vie, elle savait la conclusion proche.

img20250205_17154890.jpgLa vie est une maladie mortelle, on le sait, mais on essaie de l’oublier pour mieux en profiter. Mémère a vécu plusieurs vies en une : enfant pendant la guerre, jeune fille à la Libération fréquentant les bals populaires, ouvrière dans un atelier de confection paternaliste, épouse de mineur de fond bientôt exilée en Moselle, mère au foyer éduquant trois garçons, élevant des centaines de canards, lapins et autres poules, et enfin grand-mère attentionnée de sept petits-enfants qui a profité d’une retraite bien méritée. Grâce au comité d’entreprise des mines, elle a passé de belles vacances qui alimentèrent ses souvenirs pour le reste de sa vie, elle a même pris l’avion pour partir à l’étranger, la Tunisie, summum pour elle de l’aventure et du dépaysement, juste récompense pour une vie de dur labeur où les couches des enfants se lavaient à la main, où la chaleur venait du poêle à charbon qu’il fallait charger plusieurs fois par jour.

 

J’ai toujours représenté beaucoup pour elle, mère de trois garçons, elle avait toute sa vie rêvé d’avoir une fille, elle a vécu cette expérience à travers moi. Cette charge m’a toujours pesé, elle n’hésitait pas à dire qu’avec moi «  ce n’était pas pareil » tout en ne négligeant pas réellement ma sœur ou ses autres petits-enfants. Cela me conférait des devoirs, bien involontairement.

Quand elle est devenue veuve, j’ai intensifié mes visites, jusqu’à prendre l’habitude de passer un après-midi avec elle par semaine. Pendant 29 ans donc. Ça en fait des parties de cartes, championnes de rami ! Ça en fait des épisodes de Rex et des Slams !

En vieillissant mémère avait des côtés Tatie Danièle mais on l’aimait autant, excusant ses mots parfois blessants par son âge.

 

Trois images que je garde d’elle…

Le jour où je l’ai conduite à l’hôpital quand on a appris le décès de son amour. Je ne l’avais jamais vu pleurer, et là je la voyais hurler et presque mourir avec lui, ses mots me déchirent encore le cœur, elle l’appelait sans cesse «  Jean, Jean... » et il ne répondait plus.

Le dernier jour où je l’ai vue en vie dans le service des soins palliatifs, amaigrie, affaiblie, la faucheuse en embuscade. Assommée par la morphine, elle peinait à ouvrir les yeux et à parler, on me disait de la solliciter mais moi je voulais la laisser dormir, en paix, la laisser partir. Alors je lui ai juste tenu la main, en silence.

La troisième image c’est elle qui déborde de vie, avec un caractère tranché, qui parle trop fort et qui rit encore plus fort, qui m’appelle « ma poule » ou «Nénette », parfois Mistinguette.

C’est cette image qui reste et qui me fait sourire, quel phénomène cette mémère !

 

J’ai autour du cou son collier saphir et émeraude, je la vois quand je me regarde dans la glace, parfois je saisis le pendentif pour le faire rouler sur la chaîne, machinalement, comme elle le faisait.

 

Elle est avec moi, elle m’accompagne comme elle l’a toujours fait.

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