Arrêt sur image – Norvège 1.
Le désert intérieur de Roros est une curiosité, comme une bêtise que les hommes essaient de camoufler. A tant couper les arbres, pour les maisons, pour le feu et surtout l’étayage des mines de fer, le vent frappant sans vergogne un sol dénudé a crée des petits bouts de Sahara et l’on trouve à Roros des amas de sable en été, comme il y a des congères en hiver. Les politiques de reboisement cachent cette réponse aux offenses faites à la nature, mais parfois cela échoue.
Je me suis promenée sur les dunes, de sable pas doux, de sable pas doré, un peu gris, de sable pas chaud.
Juste le bruit de mes pas en descendant la dune.
Mes pas dans le silence de silice.
Grain de poussière sur grain de sable, je hurle à la vie.
Ecoutez : je suis !
Arrêt sur image – Norvège 2.
Oppdal, station de ski l’hiver, station aussi l’été, au vert. Le téléphérique a troqué ses sièges pour skieurs contre des petites cabines pour promeneurs. Quelques minutes pour attendre les sommets, voir le panorama, emprunter les chemins aux moutons en cloches.
Quelques minutes pour redescendre sur terre, retrouver la route n°6. Cette cabine-là ne se fermait pas. Barrière de sécurité. Plein air.
Assise sur mon petit banc de bois, je prends le vent.
Je prends le vent. Et tout ce qu’il me donne : la folie dans mes cheveux, la fraîcheur à mes poumons, des picotements à mes joues et les larmes à mes yeux, sans que l’on sache jamais si cela est dû au vent froid à mes pupilles ou à un trop plein de vie, qui déborde soudain.
Moi, je sais….
Arrêt sur image – Norvège 3.
Je regarde les vagues que crée le ferry.
Cette danse magique que les eaux font à son passage,
comme une haie d’honneur de dentelles.
Je regarde toutes ces bulles doucement mourir au loin, en silence.
Eloge de l’éphémère.
Sans ce bateau, ces eaux dorment. Leur persévérance à exister m’émeut.
Ces bulles sont de l’art, elles ne servent à rien, rien qu’à l’émerveillement de mes yeux à cet instant précis.
Les autres passagers sont blasés.
Moi je regarde le spectacle et j’applaudis des paupières.
Tu es là.
Arrêt sur image – Norvège 4.
Il y a un vieux pont abandonné, où passait naguère les chariots, où passait naguère les chevaux, à Geiranger, sur les hauts.
On prend ce bru en photo.
J’y passe à pied, prends le temps de la voir, de le sentir, le parcourir.
Je cours un peu, pour voler un maximum de temps où il n’y aurait personne, sur le pont.
Je ne sais pas ce qui me prend, je trottine, j’emplis mes poumons.
Je ne sais pas ce qui me prend, j’écarte les bras et je crie : « je suis Jeanne ».
Je pense à toi.
Un voyage extrêmement violent, contraignant, unique, que l’on ne trouvera nulle part ailleurs, même chez un autre malade atteint du même mal.
Bernard, je l’aimais ado parce qu’il était beau.

Je descendrais une à une les marches comme on s’enfonce dans la terre pour accéder à un autre univers.
S’il fallait retenir une image, ce serait celle du passage mensuel au mikvé, cette rage de devoir y retourner suivant un calendrier tristement régulier. Une souffrance individuelle de femme qui s’expose aux yeux de toute la communauté, une femme vide à en hurler qui ne trouve aucun soutien auprès des siens.
Kadosh, c’est l’histoire d’un couple passionnément amoureux, uni d’un amour si fort qu’on ne peut que remercier Dieu tous les matins. Et pas d’enfant. Cette incompréhension. En plus de devoir dépasser sa propre déception de ne pouvoir offrir descendance à son aimé, en plus de devoir faire son propre deuil de maternité, Rikva doit se battre contre les religieux qui vont pousser son mari à la répudier. Si cela se trouve, c’est lui qui était stérile... Mais Rikva va se taire, va se soumettre, va renoncer à celui qu’elle aime et qui l’aime. Ils vont se soumettre aux exigences des hommes. L’intériorisation des dogmes est si forte qu’ils sont rongés de l'intérieur et renoncent à franchir le pas de la révolte contre des règles que les détruisent.
Il y a trop de vie en moi pour sombrer comme ça. Je prends la mort de Mikva dans la fiction pour continuer à vivre dans la vraie vie, les entrailles vides et l’amour qui déborde.

Ils sortent en rangs serrés, bien comme il faut de la cathédrale. Germanique. Certes.

Et au détour d’une rue, un vestige de ghetto.