2010.
Je ne sais toujours pas, mais je ressens et je désire.
On se croit prêt mais on ne l’est jamais vraiment, c’est juste qu’est venu le moment.
J’aimerais qu’on me laisse plonger dans le bain sacré, j’aimerais vivre ce Kadosh (sacré en hébreux). J’aimerais aller au Mikvé comme on va à Dieu, j’aimerais qu’on me laisse, moi, Jeanne Magnani, la non-juive. J’aimerais qu’une femme, une initiée, m’accompagne sans chercher à me guider.
Je n’irai pas sept jours après mes règles, parce que je veux dissocier ce moment d’une procréation à laquelle je ne puis accéder. Je n’irai pas sept jours après car j’ai mal de compter les mois, dans cette prison du temps trop logique, dans ce carcan chronologique, ou sept jours après c’est aussi trop assurément vingt jours avant.
Je laisserais dans le vestiaire tous les apparats, les attributs d’une société où le paraître est une guerre à mener pour se faire croire que l’on existe : je laisserais mon alliance d’épouse, mes bijoux de femme, ma culotte à l’odeur coupable d’amante. Je laisserais toutes les idoles d’un monde artificiel : mes vêtements, qui sans suivre une mode refusent de se démoder vraiment, mon permis de conduire, à points pour écarts autorisés mais limités, ma carte Vitale pas chiromancienne qui recèle en sa puce deux ans de passé de MLD sans pouvoir prédire le futur, mon téléphone portable qui pense que ventre affamé à des oreilles…
Je me tiendrais nue et pourrais avancer, avec mes plaies mes bosses.
Je laisserais enfin au vestiaire toute idée préconçue. Je laisserais mes rancœurs féministes qui ont cru que le Mikvé était soumission aux hommes, qui ont cru que le Mikvé était humiliation et viol de l’intimité, je laisserais toutes mes conclusions trop cartésiennes qui voient en ces rites régression de la conscience et même mes conclusions plus complaisantes qui s’émeuvent de la détresse des hommes qui finissent par confondre le cultuel et le culturel.
Je laisserais tout au vestiaire et avancerais nue, avec mon corps et mon âme.
J’avancerais doucement, avec juste la volonté de vivre.
J’essaierais de compter les marches, en pensant à ceux qui ont pensé au temple de Salomon. Peut-être que me reviendra ce manque d’air ressenti lorsque j’ai touché les dernières pierres de son mur, à Jérusalem. Je n’aurais pas le temps de penser à tout ça mais je sais qu’en comptant, en regardant les pieds au lieu juste de les faire inconsciemment avancer me reviendront des années après cette image, je sais qu’en digérant je vivrai encore.
Puis enfin l’eau viendra rafraîchir mes orteils….
Je descendrais une à une les marches comme on s’enfonce dans la terre pour accéder à un autre univers.
Ce n’est pas l’eau qui est froide, c’est juste le frais de la délivrance que je ressens. Ce n’est pas le froid qui fait se dresser mes poils sur mes bras ou se durcir la pointe de mes seins, c’est l’ivresse du Vivre, un divin souffle. Je m’immerge bientôt totalement et je crois que je pleure, mes larmes viennent se mêler à l’eau du ciel et cela apaise mon cœur. Je me vide progressivement, doucement, sans douleur, mes larmes sont une douce libération. J’ai du mal à respirer, un poids sur la poitrine. Je ferme les yeux et je me laisse aller.
Je suis vide, Tahor.
Une femme appuie sur ma tête et me fait plonger en disant des mots que je crois comprendre, je lui laisse ma vie sans crainte. Elle me pousse dans l’eau comme elle me repousserait à l’intérieur du ventre de ma mère, je baigne dans ce liquide amniotique, je ne me débats pas, j’y vis. M’y ressource.
Ma tête ressort, mes poumons s’emplissent d’un nouvel air, comme si je respirais pour la première fois, comme si je renaissais, comme si j’accédais à moi, comme si je devenais, à quarante ans.
Je ressors doucement du bain.
Je ne peux pas dire que j’ai rencontré Dieu, mais je me sens bien, apaisée, presque troublée de ce bien être.
Je n’ai pas l’impression de m’être « purifiée », la rudesse du jugement humain de ce qui est pur et de ce qui est impur me heurte toujours, mais j’adhère à la traduction spirituelle du Tahor et Tamé par vide et plein.
Si Dieu est, il est dans cet impalpable divin, je suis venue ici, j’ai tout laissé au vestiaire, je me suis vidée dans le bain et sous l’eau je me suis emplie.
J’étais vide, je suis pleine.
Je ne peux dire de quoi.
La spiritualité ?
Je remets mes habits, mes bijoux, je ressors dans la rue, je retourne à ma vie, pareille mais si différente.
Et je ne peux qui redire « c’est moi qui ai vécu »
Mon Mikvé, pour l’amour du beau, pour l’amour de l’absolu, et peut-être pour l’amour de Dieu, je le vivrai ainsi.
C’est moi qui ai vécu...