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jeanneovertheworld - Page 2

  • les pas de mon père

    Il y a la mémoire, celle des dates, celle des événements vécus.

    Les autres mémoires me fascinent.

    La mémoire olfactive : une odeur et je retourne en enfance sur la balançoire du jardin de mémé, attendant que les grumbeerkiechle cuisent, un parfum et me revient la douceur musquée de ta peau.

    La mémoire auditive : une musique et l’on retourne en enfance, une voix et je tremble... ta voix et mes yeux s’inondent.

     

    Je me souviens…

    Les étés sont chauds à la Grande Motte.

    En un quart d’heure on rejoint la mer en empruntant une coulée verte.

    J’ai huit ans.

    J’ai quinze ans.

    Le rituel est le même, la petite tribu familiale rejoint la plage à l’ombre des pins parasols, le long des lauriers en fleurs.

    Mon père ouvre la marche.

     

    Je me souviens…

    La musique de ses pas est ma madeleine de Proust.

    Toute l’année au travail, en vacances il portait des tongs.

    Des tongs bon marché, en plastique, avec une semelle de mousse.

    Des tongs qui claquent sur sa voûte plantaire à chaque enjambée, un bruit sec, net, une musique régulière.

     

    Quand vient l’été et que je sors mes tongs, je pense à mon père.

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    Bonne fête papa...

     

  • piquant

    Offre moi une rose, mon Amour...

    J’aime t’appeler comme ça : mon amour

    Alors que nos amours sont interdites

    Et que jamais tu ne seras mien.

     

    La rose coupée est comme moi, déjà morte.

    La rose coupée va faner, comme moi, qu’importe.

    On peut encore s’enivrer de son parfum,

    Carpe diem, il n’y a pas de lendemain.

     

    IMG_3302.JPGOffre moi une rose à épines,

    Je veux qu’elle laisse des traces,

    Je ne veux pas sortir indemne.

    Offre moi une rose qui me pique,

    Pour me sortir de mes rêves

    Et me répéter à l’infini : «  tu es en vie ».

     

    Offre moi une rose à épines,

    Les éraflures sont mon vécu,

    Ma fleur porte ta marque.

    Absence, silence, souffrance,

    Je veux hurler ce qu’on n’a jamais su.

    Sur ma peau, viens tout avouer.

     

    Croquons la pomme,

    Mon amour défendu

    Qu’importe les piquants,

    Ils sont des diamants.

    La douleur nous rappelle

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    Que tout est réel.

     

    Je veux ressentir,

    Je veux crier,

    Je veux me déchirer,

    Je veux exister.

     

    Croquons la pomme,

    Mon amour défendu

    Offre moi une rose,

    Sans peur de saigner encore,

    Laissons s’aimer nos corps,

    Demain nous serons morts.

     

     

     

    Mes mots illustrent les créations de l'artiste Aline Part,

    entrez dans son univers Aline Part

     

     

     

  • Une heure avec toi

    Le mardi, je nage.

    Je nage, je nage…

     

    Je n’aime pas me déshabiller dans les vestiaires surchauffés.

    Je n’aime pas remettre mes habits sur mon corps mal essuyé.

    Tout cela m’est pénible : avoir les cheveux qui dégoulinent, passer sous ce séchoir au bruit atroce.

     

    Mais ce que j’aime, c’est nager.

    Comme un retour aux sources, une plongée dans le liquide amniotique.

    Signe d’eau, le scorpion nage et ne se noie pas.

     

    Je me souviens de mes heures d’apprentissage, à la piscine de Saint-Avold, des cours particuliers le soir, sous les yeux protecteurs de mon père. Je devais avoir six ans et c’est un des souvenirs les plus précis de ma vie. pisc.jpgJ’apprenais les gestes, je mimais hors de l’eau à plat ventre sur le carrelage et puis je reproduisais dans l’eau, avec la perche du maître-nageur en secours si besoin. J’avais une ceinture pour flotter et, de séance en séance, il enlevait un flotteur. Jusqu’au jour où il m’a accroché une ceinture vide… Le jour où j’ai nagé sans aucune aide.

    C’était comme se jeter dans le vide, je me suis jetée à l’eau au sens premier et j’ai nagé.

    Je ne me suis plus arrêtée depuis.

     

    J’ai pris option natation en sport au baccalauréat et j’ai pu avoir une note inespérée, moi que ne suis pas sportive. Je me souviens de mes soirées mouillées, toujours à la piscine de Saint-Avold, lors de mon année de terminale . J’allais m’entraîner en plus des séances scolaires.

     

    Tous ces souvenirs de piscine sont nocturnes. Je suppose que mes entraînements étaient en hiver, quand il fait nuit tôt. La piscine était éclairée depuis les bassins, sous l’eau, créant une ambiance feutrée, créant une bulle de bien être.

     

    J’ai nagé dans tous les océans, nagé dans toutes les mers où je me suis trouvée.

    Je garde en mémoire la chaleur des eaux Caraïbes, les rouleaux du Pacifique.

    Cette expérience incroyable de baignades dans la mer Morte où le corps flotte tellement qu’on ne peut nager, vraiment pas, juste flotter sur le dos.IMG_1848.JPG

    mer morte.png

     

     

     

     

     

    Se baigner par -1 degré et avoir trop chaud , au lac Myvatn, en Islande.

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    Cette baignade inoubliable au Costa Rica :

    Robinsonnade - jeanneovertheworld (hautetfort.com)

     

     

    Et très récemment une baignade dans la Caldeira Vehla aux Açores, une gorge luxuriante, à l’ambiance crétacée avec ses immenses fougères arborescentes et sa rivière d’eau chaude, proximité avec le volcan oblige. Quel paradis.

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    Se plonger et tout oublier, sauf de vivre.

    Profiter.

     

     

    Aujourd’hui je nage le jour, je nage toujours.

    Avec la brasse coulée, j’ai la tête sous l’eau la plupart du temps, donc les oreilles bouchées. Je me retrouve dans mon monde, un monde de silence et de clapotis. Les gestes sont fluides, l’eau me porte et me transporte. Je suis là mais j’oublie le reste, j’oublie le monde et sa noirceur, il n’y a plus que du bleu. Je me concentre sur ma respiration, j’entends parfois mon cœur battre, il n’y a que l’écho de mon corps qui glisse.

    Je pourrais le faire sans fin, glisser sur l’eau en expirant des bulles, inspirer et recommencer le mouvement.

    Je le fais en général une heure.

    Je me détends et je repasse en revue la semaine, dans ma tête je prépare des phrases que je ne prononcerai jamais, je règle des problèmes, j’oublie ce que j’étais en train de penser, je ne pense plus à rien.

    C’est alors que je viens vers toi.

    Là où personne ne viendra nous chercher, là où personne ne peut nous voir.

    Je nage avec toi, je parle avec toi, je suis avec toi.

    Arrivée au bout de la ligne je me tourne doucement pour amorcer le demi-tour comme je me tortillerais dans les draps à l’approche de ton corps. Je me retourne et je prends appui sur le mur pour pousser et repartir, je m’éloigne, je fuis, non, tu es encore là, tu t’accroches à mon âme. Je hurle ton prénom dans l’eau et personne ne m’entend.

     

    J’aime ces retrouvailles régulières. Je ne devrais pas.

    Et pourquoi pas ?

    Je te garde auprès de moi.

    J’ai trop peur de t’oublier, toi qui n’existe pas.

     

    Demain, je vais nager. Tu viens ?

     

    .

     

     

  • traces de moi

    Moi, ce que j’aime, ce sont les traces.

    Ces témoins immobiles et muets qui nous disent :

    il y a eu de la Vie ici.

    J’aime chercher ce qui ne saute pas aux yeux,

    j’aime voir ce que personne ne regarde.

    traces roues.jpg

    Pas du tout historienne, je serais plus archéologue,

    à la recherche des signes d’un passé oublié,

    ramener des êtres à la vie en combattant l’oubli.

    J’aime les bâtiments enfouis dont ne subsistent que les fondations,

    je ferme les yeux et j’imagine les volumes,

    j’aime voir, à l’entrée d’un château fort ,

    le grès creusé par les roues des charriots,

    un regard et j’entends le son des sabots.

    J’aime les coups de pioches sur la roche,

    ils signent le travail des sculpteurs lorsque s’est évaporée la sueur

    j’aime les marches d’escaliers érodées.

    J’aime les lieux abandonnés,

    les villes fantômes.

     

    J’aime bien aussi toutes les traces que l'on peut lire dans la nature qui ne sont pas humaines.

    oxbow.jpg

    Les stries laissées par les glaciers sur les rochers de Central Park,

    les oxbows dans les champs qui laissent deviner l’ancien cours de la rivière, à la faveur d’inondations,

    les bourrelets morainiques,

    tout ce qui a disparu mais se lit tellement dans les paysages.

     

    Enfin, j’aime les traces sur mon corps.

    Les cicatrices avant tout qui sont mon histoire,

    elles racontent mon parcours,bras.png

    le dégradé de leurs couleurs laisse deviner la chronologie.

    J’aime mes cheveux blancs et mes rides

    j’adore dire que je suis vieille

    car cela signifie que je suis encore en vie

    tant pis si je n’ai « que » cinquante ans.

     

    Je sais par contre que je ne laisserai pas beaucoup de traces.

    Exceptée mon emprunte carbone, mes déchets non recyclables,

    mes milliers de litres de pisse et de merde,

    puis enfin mon corps, en cendres.

    Sans enfant, je ne m’accroche pas eu leurre de la transmission.

    Je vais disparaître, c’est tout.

    J’aurais aimé publier un beau roman, abouti,

    pour fixer mon histoire, immodestement.

    Une trace de qui je suis vraiment.

    Je me contenterai plus sûrement des traces que je laisserai dans la vie des gens,

    ces souvenirs de moi qui constituent mon puzzle :

    une petite fille sage, une élève timide et discrète,

    une grande sœur, un professeur bienveillant,

    une pipe d’anthologie, une maîtresse inventive,

    une fontaine imprévue, une amie à l’écoute,

    une belle-fille dévouée, une malade philosophe,

    une nageuse régulière, une actrice enthousiaste,

    des sculptures amusantes, des poèmes érotico-intellos,

    une cliente chiante, le femme de,

    la voisine aux mains vertes…

     

    Je dois me contenter de cela : l’infime trace laissée dans la vie de ceux qui m’ont croisée.

    Ces traces infimes définissent notre humanité.

    Elles disparaissent avec ceux qui les portent et je ne serai plus qu’un nom dans un registre.

    Faut-il chercher à laisser une trace plus importante, une œuvre ?

    Pensée orgueilleuse ou naïf espoir : changer le monde.

    Rien n’est éternel.

    Tout est périssable.

    On finit tout de même par passer de mode, tomber dans l’oubli.

    Ou pire : être critiqué, enterré au nom d’une morale différente, de mentalités qui ont évolué.

     

    Notre ambition doit se limiter au présent.

    Il y a comme une urgence à vivre.

     

  • Suitcase ( sweet case )

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    Dans ma valise il y a

    un pantalon de randonnée,

    pour faire le tour des cratères inondés,

    aux eaux bleues et vertes,

    pour parcourir les chemins jusqu’aux miradouros et chopper le vertige,

    pas celui des hauteurs

    mais celui d’une sorte de bonheur,

    de ces bouffées de Vie qui rendent ivre.

     

    Dans ma valise il y a

    un maillot de bain noir et blanc

    pour affronter le ressac de l’océan

    et me plonger dans les bains chauffés par les respirations de la Terre

    comme dans le ventre d’une mère,

    retrouver la chaleur des entrailles dans des odeurs de soufre.

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    Dans ma valise il y a

    ma brosse à dents et puis une autre,

    ce petit détail qui dans les films fait comprendre que la fille ne voyage pas seule,

    qu’elle partage son intimité.

     

    Et puis dans ma valise il y a

    tout ce que l’on ne voit pas,

    tout ce qui m’a parfois empêché d’avancer,

    tout ce que je trimballe depuis toutes ces années,

    ce que je n’ai pas jeté,

    ce que je n’ai pas digéré.

    Dans mon surplus de bagage il y a toi tout entier.

    Mes souvenirs, mes désirs, ma réalité,

    tout ce que j’ai vécu, dans le noir et le silence.

    Du haut du Miradouro do Inferno

    j’aimerais bien te jeter, pour me sentir plus légère.

    Mais je sais que je me sentirais vide.

    Peut-être que mon cœur tomberait aussi.

    Alors, je te ramènerai, discrètement.

    C’est comme cela.

    Certains traînent des casseroles,

    moi, je trimballe un homme.

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  • ma petite Vie

    2022 frappe à notre porte.
    Même si je sais que nous ne sommes pas vraiment au XXIème siècle, le calendrier n’est qu’une convention, même si le temps s’écoule, inexorablement.

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    Je ne m’attache aux dates que pour avoir des prétextes, des excuses.
    Les fêtes permettent de se retrouver, de partager, même si on ne devrait pas attendre une date pour cela, même si on ne devrait pas se limiter à une seule journée de joie imposée.
    Mais voilà : 2022 frappe à notre porte et ouvre la voie vers mon jubilé.
    Un demi-siècle, la moitié d’une vie et bien plus encore pour moi, une échéance improbable encore il y a peu mais que finalement j’entrevois, de loin…

    Ce post de fin d’année est prétexte à bilan.
    Lorsqu’on me demande comment je vais, je réponds «  je suis là ».
    Ce constat suffit à m’emplir de joie.
    Là, sur mon canapé, quand je fais le tour de ma vie d’aujourd’hui, je peux dire que je suis en paix.
    Je veux dire que je peux mourir.
    Je ne veux pas, mais…
    Comme un sentiment d’accomplissement.

    J’ai fait déjà tellement de choses dans ma vie, connu bien des félicitées, le négatif je l’oublie.
    Je ne regrette rien, ce qui manque à ma vie ne dépend pas de moi, ce que je n’ai pas vécu fait de moi celle que je suis aujourd’hui, cela ne constitue pas une souffrance, juste ma différence.

    Alors c’est une petite vie, avec peu de paillettes, juste mon rire et mon sourire pour pétiller.
    Une vie raisonnée et raisonnable : la petite famille, le petit appart, la petite voiture.
    De quoi voir venir le lendemain avec sérénité.
    Oui, ma vie ronronne et j’en profite.
    Je vis au ralenti, les yeux grand ouverts, boulimique de riens, je suis rassasiée de mon quotidien.
    Je travaille, un peu, suffisamment pour en vivre mais assez peu pour pouvoir vivre en dehors du travail, ma vie n’est pas mon emploi.
    Je cuisine, je jardine, je nage, je sculpte, je vais au cinéma et au spectacle, jusque à côté de chez moi. Je suis présente pour ma famille, mes grands-mères me racontent chaque semaine les mêmes histoires que je feins de découvrir, je savoure leurs mots comme des comptines d’enfant, ces routines d’antant.

    paris 2.jpgMon monde s’agrandit parfois, d’escapades en voyages, ensemençant mon monde intérieur. Je marche sur des plages de magazines, savoure des fruits exotiques sans bilan carbone et fréquente des grandes surfaces où le nom des produits n’est pas en français, pour vivre comme les habitants.

    Et donc, pour cette année qui vient ?
    Je n’ai que l’ambition de la vivre, je ne trace pas mon chemin à l’avance mais j’avance sur des possibles en laissant les autres dans ma poche pour une prochaine occasion.

    Je suis pleine d’envies, je me nourris de ton désir.
    Je marche vers demain sans peur.

    Et si l’on se retrouve…
    Que me restera-t-il à espérer ?

     

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  • Atlas

    J’avais sa tête entre mes seins,

    Comme Atlas porte le poids du monde.

    Je tenais tout un continent dans ma chaleur.

    Je caressais doucement sa tête, nue,

    Comme au premier jour sous le sisal bleu.

    Il enfonçait son nez dans mes chairs, à en perdre haleine.

    Il plongeait dans ma peau comme un poisson hors de l’eau,

    bouche ouverte, quémandant mon oxygène.

    Désarmé entre deux obus, il me laissait accéder à son moi, à l'enfant qu'il avait été.

    Sa joue se faisait douce à mon épiderme,

    Le musc se mélangeait à la verveine,

    Nos univers se confondaient dans l’ivresse des sens.

    Entre mes seins ce n’était plus l’homme, trop grand, trop vieux,

    Il redevenait ce nourrisson arraché à la mort qui renaît dans un émoi.

    Dans mes bras je voyais l’enfant assoiffé de mère,

    Le petit, mû pas ses instincts de sussions, qui cherche le téton nourricier.

    Tel le peau-à-peau des nouveaux nés, ce contact nous ramenait aux origines,

    J’entrevoyais l’essence de son être, là, sur ma poitrine,

    Qu’importe qu’elle fut trop laiteuse, elle lui offrait un accueil de miel,

    Moi, la femme vide et incomplète, je consolais l’enfant déraciné.

    Les battements de mon cœur faisaient taire ses peurs,

    Il s’enivrait de moi comme irradié de Vie

    et narguait une fois encore la mort au rythme des balafons.

     

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    J’avais sa tête entre mes seins,

    Je tenais son monde entre mes mains.

    Comme un résumé d’humanité

    Quelques secondes d’éternité.

     

    Plus tard je découvris que son étreinte avait marqué ma peau.

     

    La trace a disparu,

    En surface seulement.

     

     

     

     

     

  • en l'air

    Je décolle…

    Encore une fois…

    On attend au bout de la piste, l’ombre des nuages part déjà sans nous.

    Les moteurs tremblent, on accélère, la carlingue se tort sans rompre, on quitte le sol.

    Je quitte la terre encore en vie.

    Je regarde les paysages germaniques mais très vite on change de dimension, on entre dans la brume.

    Il faut oublier ce(ux) que l’on laisse, entrer dans le brouillard des possibles.
    On attend le sommet de la brume, on atteint le troupeau de nuages moutonnant.

    Je ne me lasse pas de cette beauté magique qui cachent les douleurs des hommes en contrebas.

    Les nuages immaculés effacent les cris du monde.

    Très vite on perd la notion de vitesse.

     

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    Je me dis que je pourrais rester là.

     

    En rester là.

     

    Entre deux mondes.

     

    En l’air.

     

     

    Un peu nulle part, un peu partout.

    J’ai laissé la peur au sol, je n’ai pris que mes envies.

    Et mes rêves.

    Je veux changer l’air de mes poumons, sentir la terre vivre sous mes pieds.

    J’ai l’Islande dans mes veines.

    Aujourd’hui je suis en veine.

    J’ai laissé derrière moi mes habits de professeur.

    Les derniers mots de mes derniers cours furent pour Samuel Paty.

    Je laisse la barbarie en bas.

    Je veux me retrouver moi, nue.

     

    Mais si je m’approche de moi, est-ce que je m’approche de toi ?

     

     

    .

  • " je me suis tellement manquée "

    La foire agricole de Châlons ( en Champagne bien sûr ) est devenue depuis quelques années le rendez-vous de la rentrée, comme l’était la braderie de Lille avant le Covid.

    On peut y aller en confiance.

    6 euros pour suspendre le temps.

    6 euros pour faire comme l’année dernière.

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    Galérer à trouver une place de parking, franchir les contrôles de sécurité, affronter la foule.

    Premier stand incontournable : la propriété Feuillatte. Dans la Marne il n’y a pas la mer mais il y a un phare à la foire, une bouteille géante comme point de repère.

    La soirée commence par une coupe de Champagne en plein air.

     

    Puis il faut se perdre, flâner dans les allées en suivant les odeurs de saucisses et de crêpes.

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    Il y a toujours des gens pour se promener avec un manche à balai révolutionnaire, pour croire en ce nouveau produit de nettoyage miracle.

    Et comme c’est une foire agricole, on s’étonne de la taille des tracteurs.

    La ruralité c’est la bouse ? Non, ici c’est une fierté, pas la loose.

     

    Et la soirée se termine par un concert.

    Sans supplément de prix.

    Une scène en plein air.

    L’occasion pour tous d’accéder à la culture sans se déplacer, la scène parisienne qui ose deux heures d’autoroute.

     

    Ce soir c’est un concert de Véronique Sanson.

    On l’attend allongés sur l’herbe, en mangeant une gaufre. Certains sont venus avec leurs petits sièges pliables.

    On surveille les gros nuages noirs au loin, puis la lumière s’éteint.

    La foule frissonne.

    «  Vous m’avez manqués ».

    Les premiers mots de Véronique sont emprunts d’émotion.chalons 4.jpg

    Oui, cela fait longtemps.

    Longtemps qu’on ne se réunit plus.

    Longtemps qu’on ne fait plus « comme avant ».

    Longtemps pour elle aussi que la scène ne s’est pas allumée.

    J’imagine qu’il lui est arrivé de penser qu’elle ne chanterait plus. Comme j’ai pensé ne jamais vivre Noël à l’annonce de mon premier mélanome.

    Quel anathème pour une chanteuse : cancer de la gorge.

    Mais elle est là Mamie, mon amie Véro…

    La foule scande ce diminutif que je déteste.

    Le public applaudit, que dire ? Les mots sont pauvres, souvent.

    Elle est bien là, debout. Certes plus courbée, elle est devenue vieille.

    Mais toujours là.

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    Moi aussi je suis là. Debout.

    Plus vieille, délicieux ravages du temps quand l’histoire se poursuit.

    Je suis là, debout.

    Je frisonne, ma gorge se serre, les larmes embuent mes yeux.

    « Je me suis tellement manquée » Véronique chante, on croirait qu'elle souffre mais non, elle vit ses mots, elle vit ses chansons.

    Je suis là, j’en profite, je remplis mes poumons.

    Je prends le temps de regarder le chemin.

    Je m’étonne de sa longueur, je pleure et jubile.

    Ça me fait toujours cela quand la musique est forte, mon cœur s’emballe.

    Je m’envole, je sors un peu de mon corps.

    Je pense à toi.

    Je suis apaisée, je digère ma vie.

     

    Le concert se termine, la foule se disperse.

    Rendez-vous l’année prochaine ?

  • Tes silences

    28 juin.

    Trois mois sans signe d’activité.2verres.PNG

    Sur les réseaux ou sur la toile.

    Rien.

    Trois mois sans nouvelles de toi.

     

     

     

    À l’heure où les gens meurent.

    À l’heure où le virus frappe, aveuglément.

     

    Je me dis que tu me manques puis le week-end passe, la semaine reprend.

    Je me demande ce que tu fais puis je suis convoquée, je dois surveiller, corriger.

    Je m’inquiète pour toi puis je m’endors.

     

    Je repense aux derniers mots envoyés, toujours cette peur de te décevoir.

    Que ma nudité d’âme t’effraye.

    Tout dire n’a pas que des vertus.

     

    L’habitude crée son nid, ton absence redevient la norme.

    La conscience de ton absence est encore preuve de ton existence.

    Je vis de riens.

    La peur me quitte.

    J’aurais bien fini par apprendre ta mort.

    Tu vis.

    Loin de moi, mais tu vis.

     

    « Le vide me remplit » et toutes ces formulations pour positiver le manque…

    Me dire que je ne te déteste pas.

    Foutaise.

     

    Je finis par me dire que ce silence est volontaire et bienveillant.

    Que tu abandonnes tes projets narcissiques pour me protéger.

    Que tu renonces à te servir de moi.

    Je sais bien qu’il ne faut pas, que ce n’est pas raisonnable.

    Mais puisque tout est vain, pourquoi renoncer ?

     

    L’emprise perdure.

    Je t’imagine plus pervers que tu n’es.

    Je t’imagine plus humain que tu n’es.

     

    Dans ton silence il n’y a sans doute rien de tout cela.

    Juste de l’indifférence.

    La Vie qui t’emmène et toi qui m’oublies.

     

     

     

     

     

    «  A partir du mois de septembre, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme : qu’il me téléphone, qu’il vienne chez moi.

    J’allais au supermarché, au cinéma, je portais des vêtements au pressing, je lisais, je corrigeais des copies, j’agissais exactement comme avant, mais sans une longue accoutumance de ces actes, cela m’aurait été impossible, sauf au prix d’un effort effrayant. C’est surtout en parlant que j’avais l’impression de vivre sur ma lancée. Les mots et les phrases, le rire même se formaient dans ma bouche sans participation réelle de ma réflexion ou de ma volonté. Je n’ai plus d’ailleurs qu’un souvenir vague de mes activités, des films que j’ai vus, des gens que j’ai rencontrés. L’ensemble de ma conduite était factice. Les seules actions où j’engageais ma volonté, mon désir et quelque chose qui doit être l’intelligence humaine ( prévoir, évaluer le pour et le contre, les conséquences ) avaient toutes un lien avec cet homme.»

    Annie Ernaux