Je pense à toi tout le temps.
C'est ce que je ressens, une impression un rien coupable et réconfortante à la fois,
je sais que tu es là quelque part, que tu existes, que tu vis.
Je pense à toi tout le temps.
N'est-ce qu'une impression ou plutôt quelque chose d'imprimé en moi ?
Cela n'a rien de nouveau, c'est ainsi depuis la chambre noire, depuis la première lettre peut-être.
Je pense à toi tout le temps.
Et je fais la paix avec moi, et je fais la paix avec toi, il n'y avait qu'une guerre intestine, inutile, je t'ai peut-être volé et tu m'as prise, formée et déformée, tu es un composant de moi, une pièce fondatrice. Bien plus que les centimètres qui me pénétrèrent et s'évaporèrent, tu es et restes au plus profond de moi. Tu me constitues, il n'y a pas à culpabiliser, rien à renier, rien à refaire, rien à délier, tout à re-taire.
Il n'est pas question d'amour, il n'est pas question de haine, tu es juste une composante du sang qui coule dans mes veines.
Je ne pense pas plus à toi qu'avant.
J'ai juste peur de t'oublier. Les fondations, ça s'enfouit dans le sol, on les perd vue.
Je ne t'oublie pas mais les sensations s'estompent. La première brûlure, ta chevelure en bas, tes doigts à l'humide, cela reste. J'ai perdu ton goût, ton odeur, ta présence physique en moi.
Je promène avec moi ce vécu invisible, je cherche la trace pour être certaine de ne pas avoir rêvé, je me rassure en me disant que seuls les vécus les plus exceptionnels ne peuvent être imaginés. Les traces de toi sont bien rangées dans ma mémoire, je sais qu'il leur suffira d'un rien pour se réveiller, souffler un peu la poussière, pousser la porte.
J'aime savoir que tu es là.
J'existe, tu existes, nous avons existé.
J'ai peur.
Comment peut-on autant se connaître en étant autant étranger l'un à l'autre ?
Je veux...
Je n'imagine pas...
Je pense encore à toi.
Et je sais pourtant que ce n'est pas toi.
Je sais aussi que cela restera indissociable de toi.
J'ai construit du réel dans les espaces, je t'ai imaginé dans les interstices, il y a ton corps quelque part et mon esprit fait le reste. Tu ne t'appartiens pas vraiment, celui qui m'accompagne est à moi, il est même de moi, fait de mes espoirs, à mes couleurs, partage mes fragrances de verveine. Il est un peu rebelle - les filles sages aiment les voyous - en chemise bois de rose... Il ne peut me décevoir, il est toujours à mes côtés, personne ne peut rivaliser. Il porte ton nom mais je sais que ce n'est pas toi, mon Pierre imaginaire. Rien de ce que tu pourrais dire ou faire ne saurait écorner son image, mon mirage mourra avec moi.
Je pense encore à toi.
Tu ne devrais pas le lire.
Ne pas te méprendre en me pensant éprise ou prisonnière.
Tu voulais une relation hors du monde, je suis la seule aujourd'hui à continuer à m'y refugier.