Rouler, rouler encore…
Avaler les kilomètres, avancer…
J’aime rouler sur toutes les routes du monde, voitures manuelles ou automatiques, route sèche ou bitume glacé, conduite à gauche ou à droite, éviter les nids de poule, traverser les espaces, parcourir le monde à 80 kilomètres/heure.
Chaque pays a ses spécificités, lignes blanches, lignes jaunes, chaque région a ses dangers, traversées de singe, vélos non éclairés.
Après trente ans de conduite, le Mexique m’a appris encore bien des choses. Doubler les trucks interminables, me méfier des trous et des bosses, deviner l’axe de la chaussée lorsque une pluie de mousson l’efface, ne pas me laisser avoir par les marchandes qui barrent le passage, ne pas énerver les manifestants qui extorquent quelques pesos, surveiller la jauge jusqu’à l’hypothétique station dans la brousse, ne pas écraser les serpents et surtout deviner où il faut bifurquer car rien n’est indiqué.
Nous quittions Uxmal par la route 261, vers le Sud et Campeche.
Inutile de préciser le numéro de la route, il n’y en a qu’une.
Elle traverse ce que les locaux appellent la jungle.
Chaleur, humidité, végétation envahissante, l’ombre d’Ingrid Betancourt et des Farc n’est pas si loin, quatre touristes français sont portés disparus au Guatemala voisin…
Des kilomètres de vert sans humain, juste nous sur la route, personne en face, personne derrière.
Je n’ai pas peur, le plein d’essence est fait. J’ai de l’eau et la clim’.
Je n’ai pas peur, je ne suis rien ni personne, légère et libérée.
J’ai lâché prise, je savoure le jour, les yeux grand ouverts sur les beautés d’un monde pas encore totalement détruit, je me repose la nuit le sourire aux lèvres, consciente de ma chance, de mon privilège d’être là et d’être ENCORE là.
Je roule, j’avance en conscience et je vis intensément ce moment de rien, entre deux, dans la forêt dense.
Entre deux monuments mayas les hommes ont laissé une porte, limite entre l’état du Yucatan et l’état de Campeche, construction décrépie et bientôt mangée par la végétation.
On la passe et on replonge dans le vert, on dirait que l’herbe veut traverser la route, les arbres s’inclinent à notre passage.
Quelque chose obstrue le passage au loin, il pleut du jaune sur la route, des centaines de papillons virevoltent.
Paf, un, paf, deux, paf paf, oh non, il n’y a rien à faire pour les éviter, ils sont si nombreux !
Alors je roule, un peu plus doucement.
C’est un spectacle merveilleux, inattendu, magique.
Au milieu de nulle part, un ballet de papillons nous salue.
Moment féerique et surréaliste.
Un moment pour rien, sans témoin.
Une expérience d’une folle et dramatique beauté.
Le pare-brise se couvre de poudre de papillon, comme s’ils attendaient notre passage pour nous bénir.
Dans cette vie difficile, à l’heure où l’homme bombarde l’homme, où des professeurs se font tuer parce qu’ils sont professeurs, je repense à ce moment presque divin.
Il me nourrit encore.