Certes, parfois on commet des erreurs.
Mais souvent ce sont des regrets que j’ai trimballés, petits, mais regrets tout de même.
De n’avoir pas osé dire, de n’avoir pas osé faire, des petites choses, des petits gestes, ou de grands sauts, faute à mon éducation, faute aux idées communes d’une société qui bride en faisant des rêves de liberté.
Avec l’âge, je me détache du qu’en-dire-t-on, je suis moins lâche.
Et si l’on se demande ce qui me prend, je sors la carte de la moribonde qui tente de vivre dans un dernier élan. Mon excuse favorite…
Il y a quelque chose que je ne regrette pas d’avoir osé…
Tenir la main de Mamie, morte.
La vie venait juste de quitter son corps usé.
Je t’ai demandé la permission de lui prendre la main, ce n’était pas ma grand-mère.
On se fait des idées sur les morts, on se fait des idées sur la mort.
J’ai beau l’avoir tutoyée, on ne la voit pas souvent en face, on ne voit que les stigmates, les plaies ouvertes dans les cœurs de ceux qui restent, les yeux rougis de ceux qui se retrouvent en vie et si seuls. C’est cela que je ne supporte pas dans la mort : les victimes co-latérales.
La mort de mamie avait l’air si douce, on avait ramené sa couverture en patchwork, qu’elle avait du tricoter elle-même il y a des années, c’était un hôpital mais on devinait sa chambre à elle et j’ai rarement vu autant d’individualité en milieu hospitalier, on était presque chez elle, juste en milieu stérile.
Je voulais prendre sa main pour savoir.
J’ai pris sa main.
Elle n’était ni froide ni raide.
Encore tiède.
Plus chaude que ma propre main.
Mais j’ai toujours froid à ces bouts là.
Et si douce.
Ses ongles parfaitement faits.
Sa bague, anneau d’un mariage si lointain.
Ses doigts si fins de vieille dame bien.
Ses rides profondes et délicieuses.
Ses doigts morts qui me racontaient encore son histoire de femme, qui taisaient encore ses blessures d’épouse, qui hurlaient encore ses amours de mère.
Des doigts morts qui se refermaient quand je les laissais aller sur le drap blanc.
Et cette couverture que l’on remonte, pour qu’elle n’aie pas froid, dans l’au-delà.
Je lui ai juste dit au revoir, je crois.
Un geste que j’aurais vraiment regretté de ne pas avoir fait.
Un geste que je garde en moi comme un souvenir d’une rare intensité.
Au point que je me demande si ce n’est pas elle qui me tenait, comme pour m’accompagner dans ma vie, pour m’encourager à vivre encore.
-
-
l'ombre des hommes
Je suis une contemplative, jamais hâtive.
Parfois je m’arrête pour regarder où certains ne voient rien.
Ça t’agace, tu penses que je me la joue, surtout quand coule une larme sur ma joue, devant le maelström.
Parce que j’aime que tout prenne sens, il faut que je prenne chance, de savoir, de ça voir.
Avide, je me remplis du monde, à vie.
Entre Danaïdes et Sisyphe, avec humilité j’assume ma boulimie d’humanité et avoue mon refus de la satiété dans ce monde trop normé.
Je les regarde avancer dans la rue, les hommes.
J’aime les regarder marcher, mes hommes.
Leur carrure, leurs parures, une fragrance, une apparence, un jeu, un vous ou un tu.
Moi, je regarde par terre, ce que les hommes trimballent.
Leur vécu su, les histoires tues, ce qu’ils ne veulent pas montrer mais ont tant de mal à cacher. Je cherche le toi de celui qui ne sait même pas le soi.
Je ne collectionne pas les hommes, je ne vole que leur ombre, ça prend moins de place, ça fait moins de casse et ils continuent leur route, débarrassés de ce surplus d’eux, plus sûrs d’eux, ils continuent à faire croire et moi je reste là, contemplative, le savoir dans la poche.
.
-
ce que la vie dit
Même si le cœur peut s’émerveiller, même si le corps peut vibrer, le passage par le cérébral, pour le plaisir, est vital.
La connaissance, toucher l’essence, et combler tous les sens.
Je n’arrête pas de leur dire, à tous, que l’on ne voit qu’une infime partie de ce qui nous entoure au quotidien, faute à l’habitude, faute au temps qui nous manque pour profiter de chaque petit rien.
Même si j’aime avancer dans la nuit, sans lampe, en visualisant tout ce qui m’entoure, même si j’aime reconnaître une voix à mon dos sans ajouter l’image, je le sais mais je n’échappe pas au piège.
Je connais chaque détail de ma maison, je crois en tout cas la connaître, alors, comme chacun, je la considère comme un élément d’un décor que je ne regarde plus, je vis en courant vers ailleurs et je n’écoute plus ce que ces détails me disent.
Ce que je ne leur ai jamais laissé me dire.
Dans ma salle de bain, décor de tropiques, décor marin et les rames en bois du radeau de mon grand-père.
Une boule de verre dans ses filets, une vraie, des fausses.
Et au plafond, un filet de décoration, une vraie étoile de mer, et un petit animal marin, comme une peluche répondant au nom anglo-saxon de « Craby ».
Et je prends un bain comme ça, avec de la mousse, de la vapeur, de l’eau toujours trop chaude, n’en déplaise à mon ectasie, la tête à l’ombre d’un bananier de bois sculpté des Antilles.
Rien de changé dans ce décor.
C’est moi qui ai vécu.
C’est moi qui ai changé.
Aujourd’hui j’écoute ce que ma maison me dit…
Je regarde ce filet au plafond, moi qui parfois souris en disant que j’ai une araignée au plafond.
Oui, bargeotte la Jeanne…
Aujourd’hui je vois Craby et pour la première fois, j’entends cette ironie, la vie qui me dit :
« N’oublie pas, Jeanne, le crabe que tu as au dessus de la tête... »
Comme une épée de Damoclès.
Je n’oublie pas…
Mais je veille à me tenir le plus longtemps possible loin de lui, je sais qu’il touche mon ombre. Qu’il me suit… comme mon ombre…
Une larme.
Je sors du bain, je me sèche le corps et les joues.
Pas une seconde à perdre.
Vie, me voici !
...
-
maelström
Il nait là, devant moi, le maelström.
A 67 degrés Nord.
J’ai tant adoré ce mot étrange, présent dans les dictionnaires de France mais traînant avec lui ses origines d’ailleurs, ses origines du froid, portant sur son O des points comme un bonnet de laine à pompon.
Comme un mot familier, un mot de ma famille, moi, l’iceberg.
J’ai tant aimé son sens, figuré.
Ce tourbillon des sens, imaginé, vécu dans mon sein, souvent.
J’ai aimé instantanément les auteurs qui osaient le coucher dans leurs romans.
Ce mot, on ne l’emploie que lorsqu’on le vit, que lorsqu’on le sent en soi.
Car jamais il ne se traduit.
Comme la Saudade portugaise.
Je suis allée aussi loin que la route des Lofoten allait, je suis allée aussi loin que les hommes ont tenté de domestiquer la nature.
Et regardé au loin, tendant l’oreille, comme Ulysse, écoutant les sirènes.
Regardé au loin pour sentir le monde.
Et moi toute petite, mais solidement ancrée, pieds dans la roche agressive, inhospitalière à qui ne la comprend pas.
Je respire et je tremble, au vent.
Je respire et je pleure, faute au vent à mes yeux trop sensibles ou faute à l’émotion du cérébral à fleur de peau.
Je suis au bord du maelström comme au bord d’une falaise de possibles, d’un océan de mystères, bien plus grand, bien plus dense, protégé par des eaux sombres.
Au bord du maelström, je suis au bord de la vie.
Je devine son secret sans pouvoir encore le répéter.
Je souris.
Une larme encore trahit mon petit bonheur de vie.
Il me donne cette force, il me donne cette foi, clairvoyance aveuglante, j’en emplis mes poches, j’en emplis mes rêves.
Dans le maelström je tourbillonne mais jamais je ne m’abîme.
Dans le maelström je vis.
Je n’ai pas peur de lui.
Je n’ai pas peur de la mort.
Il est la vie, le mouvement, la folie, l’ivresse.
Au terme d’enfer je lui préfère celui de « nombril de l’océan », par là, on est attaché à la mère, à la vie.
Je suis là debout, devant le maelström et je t’aime.
Je suis là debout devant le maelström et je suis en paix.
Un pas en avant, un pas vers demain, la vie est en marche.
-
sur les marches du coeur
Il l’a jeté dans l’escalier,
Olivier,
Je le regarde avec émotion,
Son caleçon.
Une trace de lui, une signature, lui qui vit, lui qui court, lui qui veut, lui qui rêve encore, lorsqu’il dort, de plus en plus tard.
Et tout ces gens qui gravitent, ce monde qu’il évite, cet univers qu’il traine avec lui.
Avec la peinture écaillée,
De l’escalier,
On voit bien ce qui lui manque, qui lui manque.
Un terrible résumé
D’Olivier.
Je n’ose le déranger, j’aimerais le ramasser, j’aimerais épousseter.
Je n’a pas besoin de carte, je le sais trésor.
Je le veux
Heureux.
Amitiés
Olivier.