Ça fait longtemps que je pensais à lui : le père Lachaise.
Sans le connaître, lire ses aventures, entendre son nom dès qu’un homme d’une autre importance décède, ou un homme de la haute, cela n’a pas d’importance…
Sans le connaître il fait partie du patrimoine imaginaire, un cimetière au sommet, à la cime d’hier, qui fascine aujourd’hui.
Ado déjà, ces lieux me fascinaient.
Il faut dire que j’ai eu la chance d’en fréquenter bien peu, il faut dire que je n’ai pas appris à avoir peur de la mort…
Et puis au hasard, découvrir que certaines stars y dorment, dans une paix toute relative, dans des monuments parfois pillés, des monuments squattés, des petites pierres laissées en signe de passage, des témoignages qui demeurent.
De toutes mes virées à Paris je ne sais pourquoi, il n’y eut jamais de temps pour lui.
La faute a sa discrétion sans doute, un peu en dehors des grandes routes capitales, un peu à part.
Tellement à part.
J’ai eu la chance d’y aller un jour de soleil, hors saison.
Au printemps ou à l’automne, je me souviens à peine s’il y avait des feuilles, il n’y avait pas de deuil.
J’aime ces lieux de quiétude, je ne sais pas pourquoi, dans mes souvenirs, les cimetières n’existent qu’au soleil.
Partout dans le monde je rends visite à ces gens qui nous ont précédés, en observant leur dernier lit, on peut deviner les liens, on refait parfois la généalogie.
A Queenstown, Nouvelle Zélande, les tombes racontent des drames en quelques dates.
En Islande, la terre est trop dure parfois pour enterrer, alors on se fait déposer et recouvrir.
Aux Lofoten on sème les pierres comme on sème les fleurs, vivaces.
Certains cimetières ont leur petite réputation comme la Recoleta Buenos Aires, chaque défunt a son appartement, son petit studio, une porte, un paillasson, on a l’impression que son occupant sort la nuit, à l’abri des regards.
Mais le Père Lachaise...
Il a ce charme désuet du Vieux Paris, le temps est suspendu, seules les dates sur les pierres nous rappellent que nous sommes en 1947, ou en 1997, ou en 2012… on ne sait plus.
On y vient se balader, manger un sandwich sur un banc entre amis, on y vient visiter d’autres amis qui ne répondent plus à nos messages et qui laissent flétrir les fleurs sur leur carré.
On y vient pour tuer le temps, laissant lâchement le corps du délire derrière un arbre.
On y vient pour se voir, partie d’un monde tellement plus grand, poussière devant les Molière, on vient y refaire le monde, les amours que l’on chope, Chopin, encore un détour, jusqu’à ce que vienne notre tour.
Je ne suis pas certaine que tu sois là, mais j’aime te suivre, j’aime que la mort nous relie dans une telle douceur.
Des touristes passent, en groupe, guidés, ils semblent à l’extérieur.
Moi je suis sur ce banc et je vis, je vis le moment, je vis l’endroit, il n’y a plus d’endroit ni d’envers, à l’envi, envers et contre tout, contre toi, je suis là.
Entourée de ces anciens, je me sens bien.
La mort sous marbre n’a rien de macabre.
Je regarde Paris au loin, je ne pense à rien, j’ai juste ma place, une place à la largeur de mes fesses : ma place dans cet univers. Je ne suis rien mais je ne suis pas moins.
Je regarde Paris au loin. On ne peut pas dire que c’est beau, du haut de la bute, devant le crématoire, on ne voit pas si loin, on ne voit pas si bien, on voit la ville, la vie, on voit le vrai, pas les monuments de la vitrine.
Si l’on me demande ce que j’ai vu au Père Lachaise, je pourrais décrire quelques tombes, les plus anonymes, les plus humbles étant les plus émouvantes, laissant la liberté de l’imagination, laissant encore, malgré la mort, tous les possibles sur leur propriétaire exister.
Si l’on me demande, je pourrais parler des tombes célèbres, des sculptures originales, oui, mais il faudrait que je me concentre.
Je pourrais me baser sur quelques romans, que n’a-t-on pas écrit ?
Mais si on me demande de parler du Père Lachaise, je serai muette, comme une tombe.
Parce que ce lieu impose le silence, tant il nous parle à l’intérieur.
Ce que je sais, c’est que j’y étais, c’est moi qui ai vécu.
A m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
Et regarder les gens tant qu'y en a...
Ou debout, les pieds bien ancrés dans le sol, le regard jeté dans les rues de la capitale, Rastignac, c’est moi…
« Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine où commençaient à briller les lumières. Ses yeux s’attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses : "A nous deux maintenant !"
Et pour premier acte du défi qu’il portait à la Société, Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen. » H. de Balzac
Donne moi juste encore la main…
Donnez moi juste encore demain…
Au nom du Père
Et de tous les seins d’esprit
Qu’il fut bon de me perdre
Qu’il fut doux de se retrouver
Au nom du Père
Donnez moi Lachaise
Que je me repose
Enfin !