J’aime arriver la première
Dans ta garçonnière.
J’entre dans tes secrets,
Tu m’as laissé la clé…
Tu n’es pas là
Mais je te vois,
Tout parle de toi :
Ces petits amas, les choses bien rangées,
Ton pyjama, les paquets de biscuits entamés…
Il n’y a pas un bruit
Et j’entends ta musique,
Quand viendra la nuit,
Je serai ta muse (sans hic)
Je te regarde vivre sans moi,
Je t’imagine ici et là,
Je me glisse dans tes pas.
Je regarde la vaisselle qui sèche, j’ouvre ton frigo,
Pas une trace, pas une place, tu vis si bien sans moi…
C’est ce que je crois…
Puis je regarde ton lavabo
Je suis là. Je sais, rassurée,
Que nos baisers seront mentholés.
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en cage
Je ne sais pas bien comment je peux m’en souvenir… de la cage d’escalier, celle de l’immeuble que j’habitais quand j’étais enfant unique, l’appart au premier étage où l’on m’a ramenée dans un couffin, un mois de novembre blanc et ensoleillé, et d’où je suis partie, six ans plus tard, avec une maman grosse d’une petite sœur qui allait venir.
Pourtant je me revois dans cette cage d’escalier, moi la fille qui n’a jamais trainé.
J’y ai tant joué.
J’y ai si bien joué.
Avec rien.
Avec les marches, avec ces barres qui servaient de piano et qui devaient rendre fous les voisins qui n’ont jamais rien dit.
Je ne me souviens pas bien.
Je ressens simplement.
Et je me souviens que dans cette cage, j’ai trouvé de la liberté.
Je me dis que de rien j’ai fait tout un monde, dans ma tête.
J’ai fait d’un endroit triste et gris un endroit de paradis.
Avec mon cœur d’enfant, de mon seuil œil emmétrope je restais sur terre et de l’autre je voyageais, je volais, légère.
Toute petite dans le monde des grands, je faisais d’une entrée commune un peu glauque, subie, une aire de jeux, un lieu d’observation… on ne prête pas attention à une petite tête blonde qui joue en silence.
J’apprenais à faire d’un rien un bien.
J’apprenais à être bien, seule avec moi.
Je me suis assise dans l’escalier.
Jeanne Magnani, 38 ans.
Je sens l’air qui entre plus difficilement dans mes poumons, avec le souvenir, l’émotion de l’évocation.
Qu’est-ce que j’aime cette douce douleur de vivre, ce piquant qui m’empêche de dormir, qu’est-ce que j’aime ces riens qui font ce que je suis, je me sens si vivante, si entière et mon ombre n’en finit pas de grandir à mesure que j’avance vers la lumière.
Sereine.
Reine.
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regres-snif
Quand je dis que je suce… mon pouce, ils rêvent une fraction de seconde de prendre la place du complément d’objet.
Pourtant… j’ai tant sucé.
Et je suce encore parfois. Rarement.
Je suis toujours déçue, mon pouce a grandi, rude à mon palais délicat, mais vite je retrouve le geste : le pouce au plafond de ma bouche, ma langue en matelas. Très vite aussi, les autres doigts, frustrés, retrouvent leur place et boudent, enroulés sur mon nez, l’index coquin parfois caresse l’arrête.
Non, je n’ai pas de grand plaisir aujourd’hui à sucer mon pouce.
Je veux juste parfois voir ce que cela fait, me retrouver petite, me recentrer sur moi, me retrouver.
Je regardais le monde et je me calmais en suçant mon pouce, avec ma main sur le visage j’avais l’impression de ne pas être vue, mes peurs mourraient avec la succion.
Quand je parle de mon petit canard en plastique, ils rêvent une fraction de seconde d’actionner un hypothétique bouton pour le faire vibrer et m’inonder de plaisir.
Portant… j’ai tant inondé, la salle de bain avec ce canard comme partenaire de jeux de bains, jeux malins sans malice.
Je la regarde la petite fille dans la bassine, celle qui suçait son pouce et jouait au canard…
Est-elle trop grande, ou est-ce le monde qui est trop étroit pour elle ?
Je sais qu’elle me demande ce que j’ai fait de nous.
Son innocence…
Je ne peux plus redevenir vierge, je ne le veux pas, tout juste peut-être redevenir…
Je garde tout ce que j’ai vécu, tous les autres.
Mais parfois j’ai mal à l’adultie.
Parfois j’aimerais pouvoir sucer mon pouce… en toute innocence…
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elle s'appelait Anna...
1909-1997
Je la revois sur la chaise devant sa maison, si calme, paisible doyenne, détentrice de tous les secrets.
Depuis mon enfance je la regardais sans tout comprendre, mais je ressentais tellement…
Aller à Hotviller, c’était comme remonter le temps, pas seulement parce que nous rejoignions une partie de la Moselle à la ruralité exacerbée, mais aussi parce que nous remontions le temps, nous remontions à l’arbre généalogique. J’ai une image sombre de cette maison familiale, construite par mon arrière grand-père, maçon-agriculteur, parce que nous étions nombreux autour de la table, parce que les maisons d’autrefois étaient profondes, aux murs épais, aux murmures lancinants, aux ouvertures comptées, forteresses tribales. Image sombre mais chaleureuse, brûlante à mon souvenir, une idée de la veille médiévale, tous assemblés, réunions autour d’un feu qui portait son prénom : Anna.
Nous n’avons jamais parlé en adultes ensemble, encore moins en femmes.
Je le regrette mais je peux puiser dans ses silences passés les conseils pour aujourd’hui avancer.
Elle ne parlait pas beaucoup, comme les vieux, son corps existait dans un monde qui lui était devenu étranger, son cœur et ses tripes étaient restés en arrière, elle avait fait assez de guerres pour vivre et renoncer à la lutte de l’existence.
La semaine dernière, alors que ma voiture passait devant une porte fortifiée de Metz, j’ai manqué d’air.
J’ai repensé à elle, sous ce soleil insolent d’automne.
A elle et son amour pour Joseph.
Joseph ayant nourri un aviateur anglais tombé dans son champ en 1944, a échappé de peu à la déportation pour assistance à ennemi en temps de guerre par le régime nazi.
La paix signée, les Français l’enfermèrent à Queuleu pour avoir livré ce même aviateur aux Allemands, crime dont il fut blanchi après quatre mois d’enferment.
Quatre mois d’incertitude pour Anna et ses deux filles.
Elle a écrit ce poème :
Gedanken an einen Zivilgefangenen
Pensées à un prisonnier civil
Hinter Queuleu’s hohen Mauern
Dans les haut murs de Fort Queuleu
Sitzt mein Gatte lieb und traut,
Mon cher et pauvre époux gémit
Schlafet dort auf kaltem Boden
La terre est froide au malheureux
Von Heimatglück und Lieb’ beraubt.
Sans sa famille et sa fratrie.
Und die Wächter, fast Halunken,
Et les gardiens, presque bandits
Die die Arbeit nicht erdacht,
Qui n’ont jamais vu de travail
Suchen noch das wegzuschmuggeln
Veulent encor voler, la nuit
Das dem Liebsten man hin’bracht.
Ce qu’on lui porte en victuailles.
Meiner Kinder Hände heben
Les mains levées vers toi Seigneur,
Tag und Nacht sich zum Gebet,
Entends mes deux petits enfants
Wie es wohl dem guten Vater
Les yeux voilés, séchant leurs pleurs,
Dort im Fort von Queuleu geht.
Te priant pour leur père absent.
Lieber Gott im Himmel droben
Vois l’inquiétude et nos chagrins
Sieh das Elend, sieh die Not,
Et nous redonne, ô bon Pasteur,
Schenk’mir meinen Gatten wieder
Aux enfants leur feu et leur pain
Meiner Kinder Herd und Brot.
A moi la moitié de mon coeur.
Celle que nous appelions tendrement Oma nous cachait ses peurs, ne nous a jamais parlé du deuil de ses rêves, mais nous ressentions.
Je ressentais.
Parfois tout cela remonte, en marchant dans des rues ensoleillées, on peut parfois se souvenir des ombres. C’est peut-être pour cela que je regarde toujours au sol. L’ombre des hommes, leur totale dimension, le vu et le tu.
Penser à cela ne me ralentit pas, et si des larmes coulent elles libèrent, l’air à mes poumons est aussi douloureux qu’au premier jour, celui du cri au sortir de ma mère, mais je me sens si bien, si heureuse d’être, simplement.
Trop émue un instant sans doute par tous ces vécus qui m’ont menée où je suis.
Tout cela me rend si forte…
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les apparts de filles seules
une pensée tendre à mon amie Hélène... et à toutes les autres.
Les filles seules
Elles rêvent pourtant d'aventures et de voyages
De promenades sans chaussures le long d'une plagehttp://www.lynda-lemay.net/albums/1998/5.html
Je ne sais pas pourquoi, finalement j’en connais plein…
Le Premier Homme disait « on est toujours tout seul », la vie m’a montré que certains le sont plus que d’autres.
Certaines aussi…
Parfois on se demande s’il faut croire au dicton, comme on accepte un lot de consolation : que vaut-il mieux, être seule ou mâle accompagnée ?
Les filles seules ont attendu trop longtemps à un abribus non desservi.
Les filles seules le sont justement car elles sont trop.
Trop belles.
Trop intelligentes.
Trop indépendantes.
Dans les apparts des filles seules, y’a des dentelles, des psychés, des armoires de grand-mère, des petits mouchoirs dans les armoires.
Dans les apparts de filles seules, il y a des doudous sous la couette, et plusieurs oreillers, pour mieux rêver.
Dans les apparts de filles seules, il y a des amis de peluche, plus fidèles que des amants de paille, des nounours, pas des ours.
Les filles seules, elles laissent toujours leur soutien-gorge « push up » à vue…
Il y a aussi ce chat qu’on ne voit pas, dont on entend juste parler, un chat craintif, un chat blessé qui reste sous le lit planqué, une bête qui ne se montre qu’à sa belle.
Tout est rangé dans des boites gigognes car on sait que la cigogne ne passera plus.
Dans les apparts des filles seules il y a surtout ce qu’on ne sait pas bien où ranger, ce qu‘on aimerait ne pas voir mais qui prend tant de place : le regard des autres.
Le regard des hommes… qui admirent, fantasment et finalement intimidés, envoutés ou inquiets renoncent à oser.
Le regard des femmes… qui décryptent ou jalousent, les observent comme des bêtes curieuses…
Le regard du monde qui leur colle des étiquettes.
Les filles seules, elles ne veulent pas forcément changer,
elles aimeraient juste un peu plus souvent être,
sans être « fille seule ».
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cris sans t'aime
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
La mort potence nos dulcinées(Jacques Brel, j'arrive )
La Toussaint, c’est pire que la Saint Valentin.
J’ai vu toutes ces fleurs en pots, alignées, qui attendaient près de la caisse enregistreuse.
Est-ce que l’on fait l’addition des bonnes intentions chez Leclerc ?
Est-ce qu’on s’achète une bonne conscience avec une carte de fidélité ?
Ça m’a fait gerber.
Et je t’ai fait promettre de ne jamais m’en déposer…
de gerbe…
sur ma tombe.
Déjà les tombes, les messes, les enterrements, je te l’ai dit, c’est pour les vivants.
Rien à foutre du pin ou de l’ébène, des poignées dorées ou poignées d’argent, j'aimais tes poignées d'amour, alors pourquoi pas les cendres… Je n’ai aucune certitude sur la mort, à part qu’elle arrivera et que la mienne te fera plus de mal qu’à moi. Alors urne ronde ou grès des Vosges, fais comme tu veux….
Je n’ai qu’une demande, qu’un ordre : ne viens pas à la Toussaint.
Ils sont tous là, avec leurs pots, avec leur peine, il y a des embouteillages devant le cimetière d’ordinaire désert.
Si tu veux retrouver ce qu’il reste de moi, ferme les yeux et repasse nos souvenirs en boucle, si tu veux me retrouver rêve de ma bouche et de mes bras.
Les fleurs je ne les aimais pas déjà de mon vivant, parce que je n’ai jamais compris quelle joie il y avait à recevoir la mort en bouquet, roses sacrifiées sur l’autel d’un romantisme de carton pâte.
Alors tu penses… sur ma tombe !!!
Si tu voulais revenir, là où tu m’auras laissé dormir, dépose une pierre,
un baiser,
un bout de bois,
un bout de toi,
ou même un bonbon,
« parce que les fleurs, c’est périssable » !
Si tu viens, je veux que cela soit par envie, par besoin mais jamais par devoir, fut-il conjugal.
Conjugue plutôt, au temps où tu seras…
Je vis.
C’est moi qui ai vécu.
C’est moi qui l’ai connue.
Je vis….
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au bord de moi
Border line
Border life
Border wife
Border l’homme
Border love
Border flamme
Border l’âme
Border larmes
Border Jeanne