Debout ! les damnés de la terre
Debout ! les forçats de la faim
La raison tonne en son cratère :
C’est l’éruption de la fin
Du passé faisons table rase
Foule esclave, debout ! debout !
Le monde va changer de base :
Nous ne sommes rien, soyons tout !
A Buenos Aires, on affiche ses idées partout, parfois à même le sol, parce que là bas, certains ont jadis piétiné des idéaux...
A BuenosAires, on tague, et tant pis si on défugure les monuments, tant pis si on souille la blanche colonne de la Plaza de Mayo : les touristes ne nous en voudront pas, eux qui ont oublié les rêves de liberté, eux qui ont enterré leurs idées avec leur jeunesse, eux qui respectent trop des signes d'un pouvoir qui ne les respecte pas.
La nuit, le Portenos marche la tête basse pour ne pas voir le spectre de ses espoirs. Des désirs de "Liberacion national" lui reviennent en pleine face. La Révolution Française, la fin des privilèges ? Juste l'ombre d'un coq bien rouillé sur un mur plus très blanc....
A Buenos Aires surtout, on manifeste, on crie ses idées, dans la rue, devant le tribunal, devant toute porte qui ne s'ouvre plus, devant toute porte qui jamais rien n'apporte. Bien encradrés par les forces de l'ordre, on connaît les limites du droit de manifestation, on les respecte mais on use et abuse presque de ce droit. On sort les drapeaux, on sort les banderoles, on sort la sono et les grosses caisses de fanfare, on fait du bruit, un maximum de bruit, on veut montrer qu'on existe...
Il y en a pour tous les combats : les infirmiers, les vétérans de la guerre des Malouines déconsidérés, les employés du métro anti-privatisation...
Devant le cinéma, des intermittents protestent contre le téléchargement, des petits producteurs veulent protéger leurs droits. Et on se croirait à Noël, rien à faire de la déforestation de l'Amazonie, on imprime, on tracte, on décore le sol, on pave la rue de bonnes intentions, contre la PIRATERIA...
Et on chante ! On râle dans la bonne humeur, on ne se bouscule pas, on se poste là et on dit ce qu'on a à dire...
Moi, l'occidentale de l'Est pleine d'idéaux cachés, je suis émue de la foi de ces gens, de leur volonté, de leur pugnacité et souvent de leur audace pacifiste : on se met au milieu de la rue et on dit ce qu'on a à dire. Tant pis pour les embouteillages...
Je n'ai pas vu de casseurs, au pire l'indifférence des passants.
Mais mon émerveillement n'a duré qu'un temps. Lorsque j'ai dû rejoindre l'aéroport, j'ai espéré qu'aucun brave ne veuille dire quelque chose au travers de ma route. Et surtout, j'ai vu qu'après le standing devant le cinéma, on remballe tout et on rentre gentillement chez soi.
Demain sera un autre jour, mais un autre jour pareil, avec la même pirateria, la même corrupcion...
Et le portait du Che sur le pont sera à nouveau piétiné...
La manifestation terminée, la rue est rendue aux voitures, la ville est rendue à la vie et tout reprend comme si de rien n'était.
Les taxis finissent d'écraser les maux imprimés, autant en emporte le vent.
Est-ce que la vie continue toujours "comme si de rien n'était" ?
Commentaires
Mon père qui y a vécu et transité entre deux convoyages de troupeaux - il avait été gaucho un moment dans les années 40- disait que c'était la ville la plus gaie qu'il ait jamais vu...