On a parfois l'impression d'être arrivé au bout du monde. Après avoir rejoint l'aéroport, pris trois avions, roulé presque deux heures dans des paysages désertiques, on pose sa valise et on respire....
On y est.
Mais où ?
Nulle part.
Enfin...
Pourtant, il y a toujours plus loin.
Vers le Sud, une route asphaltée m'aspire, le compteur est bloqué sur 110 et pourtant je n'avance pas, la route est droite, je ne croise personne. Tout cela est-il imaginaire ?
Je bifurque pour le salar. Au bout de la route, il y a un chemin. Le soleil cogne fort, on s'imagine mourrir de soif, les lèvres rongées par le sel, oublié sur ce sentier jusqu'au passage du prochain égarré. Quelque chose me pousse cependant à avancer, la peur des vautours peut-être.
Mais point de rapaces, juste quelques échasses qui se contemplent dans le miroir de la lagune.
Au bout de cette route il y a avait un peu de poésie, de la délicatesse dans le vide, de la douceur dans l'aride.
Comme un pied de nez à la mort...
Vers l'Est, on pense être bloqué par les montagnes. La route cède vite la place à une piste infinie où l'on ne croise toujours personne. Pourtant ce chemin existe, il doit bien mener quelque part. La voie devient escarpée, je retrograde. Derrière moi, un nuage de poussière. Je monte tellement que si le ciel n'était pas si bleu, cela pourrait se confondre avec un cumulonimbus. La piste semble ne jamais finir, je jète un coup d'oeil sur la jauge et prie pour que l'essence ne vienne pas à manquer, la première pompe est à plus de 100 kilomètres, il serait temps d'arriver... mais arriver où ?
Je sors de la voiture, le froid d'altitude me saisit et je ne peux répondre à cette question.
S'il ne faisait pas si froid je me dirais arrivée au paradis.
Miscanti.
Je descends jusqu'au bord du lac. C'est étrange d'être seule au paradis, un peu angoissant. Je me régale du paysage, emplis mes poumons de cet air glacé qui me pique et me rappelle que je suis en vie.
Vers le Nord, j'ai bien cru à une impasse et la réceptionniste de l'hôtel a voulu me dissuader de partir à l'aventure. Les vingt premiers kilomètres je me suis dit qu'elle exagérait, que ce n'était pas une côte qui me faisait peur. Puis il a fallu passer un col, deux, puis le Paseo del Diablo, pas besoin de traduction...Enclancher le 4x4 pour avancer encore, traverser la rivière...
Puis enfin deux heures de chemin, accueillant de loin, insupportable par ses rainurages de près. Supplice pour le dos, épreuve de force pour maintenir la trajectoire, exercice de concentration pour contourner les plus grosses pierres... Et toujours personne à croiser, juste une vigogne de ci, de là... Arrivé en haut d'une côté on se dit que c'est la dernière, que l'on va basculer vers un ailleurs, enfin, comme une quête du Graal.
Et non, après le sommet, il y a une autre vallée dersertique sans que jamais la route ne s'arrête. Où va-telle mener ? J'espère distinguer de loin un peu de fumée et rien, on avance, on avance, on avance, c'est une évidence comme dit la chanson...
Soudain, lorsqu'on n'y croit plus vraiment, lorsqu'on est à deux doigts de regretter, qu'on ne supporte plus d'être secoué, le paysage s'ouvre et s'offre.
Derrière les fumées des geysers, quelques sihouettes nous ramène à notre humanité. A plus de 4 000 mètres d'altitude la tête me tourne un peu. Le froid est vif, mais je suis heureuse, je n'ai pas fait tout cela pour rien. Il est des endroits qui se méritent.
Et je me réjouis de ne pas être passée par une agence comme le conseillait la réceptionniste.
Tatio fut mon aventure, mon expédition personnelle.
Ma récompense.