Pour moi, ce ne fut qu’un moment évident de ma vie, mais tu as été surpris…
Nous étions montés à la Jungfrau, un sommet des Alpes suisses, une succession de trains à crémaillères nous avait menés à 3454 mètres d’altitude.
Au bout du tunnel, une petite ville souterraine nous offrait quelques fenêtres sur le glacier, quelques points d’observation sur la beauté d’un monde si blanc et si grand.
Par deux ouvertures, il est possible de marcher sur l'immaculé manteau, librement, emprunter des chemins balisés et damés, à l’abri des séracs sournois.
Je voulais sortir, sentir le froid à mes joues, sentir le bout de mes doigts m’échapper un peu, quitte à le regretter après, les bouts rouges et gonflés à en éclater de vie.
Tu m’as suivie sur le chemin du refuge.
Mais le temps change si vite en montagne...
Un nuage a épousé le sommet, nous plongeant dans la ouate, nous privant la vue.
Et j’ai marché, doucement, sur le chemin blanc.
Malgré le nuage, la luminosité était presque insupportable, nous étions perdus dans le blanc, oppressés du rien, juste la neige tassée sous nos pieds et quelques piquets sur le chemin.
Tu avançais derrière moi avec difficulté, la pente, le froid, mais surtout l’absence de but je crois. Il est vrai qu’avancer dans le brouillard ainsi ne rimait pas à grand-chose.
Avancer oui, mais vers le rien, à quoi bon ?
Je t’ai encouragé rassuré, je ne voulais pas rejoindre ce chalet, annoncé à 45 minutes de marche, je t’ai dis « juste encore un peu ».
Et tu m’as suivi, aveuglé, aveuglément, en trainant derrière toi ton scepticisme, et cet excédent de cartésianisme que tu me reproches souvent.
Je voyais bien que tu n’en pouvais plus, et je ne pouvais rien te promettre.
Mais ce frais à mes poumons me faisait du bien, j’avais encore envie d’avancer, comme poussée, qu’importe si je n’avais pas la vue, il me fallait aller plus loin.
Je t’ai dis « reste ici si tu veux, j’avance encore de deux piquets ».
Guidée par les ombres sombres dans le brouillard, suivant le bord de la piste, j’ai donc avancé encore un peu.
Puis je me suis arrêtée. Debout, droite, plantée vers l’aval.
Et j’ai attendu, immobile.
Intrigué, tu as finis par me rejoindre. Je t’ai juste dis « j’attends »... j’attends que le nuage passe.
En riant je te demande si tu as le cell-phone de Dieu, pour que ça aille plus vite.
Je reste debout, regard dans la ouate, sereine.
Ça n’a pas duré dix minutes, mais probablement plus de cinq. Cinq minutes, c’est long quand on défie la raison.
Je suis debout et je suis bien.
La neige croustille sous mes pieds, l’air est frais à mes poumons mais je n’ai pas froid, les mains dans les poches. Décontractée, je suis debout face à l’immensité, je suis debout dans le brouillard, je ne suis pas dans le noir, je ne vois aucune lumière d’un tunnel, je suis juste quelque part, en attente.
Je suis debout dans le brouillard et soudain….
Tu es bluffé, je reste debout, sereine, émerveillée, mais pas surprise.
J’avais confiance, je le savais, il fallait juste oser y croire, oser attendre et oser vivre !
Nous reprenons le chemin fait dans le gris et à chaque instant nous émerveillons de ce que nous n’avions pas pu voir, c’est encore plus beau avec cet espoir fou, avec ce petit miracle qui a ôté pour nous le nuage. Nous pensons à cette famille française trop volubile qui avait fait demi-tour. Nous, nous avons su voir.
Ma foi en la Vie est ainsi.