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Tatie Danièle

Je supporte peu les discussions bien pensantes sur le cancer. Je devrais m'y faire, me blinder un peu plus, mais non, ça me donne toujours envie de vomir ou de pleurer, moins souvent de hurler.

Ces gens qui supputent « je suppose qu'il faut être très fort dans sa tête»… C'est justement ces phrases qui me font craquer, pas les examens, pas la douleur : une sorte de compassion impossible, d'empathie illusoire. On est toujours tout seul et jamais personne ne pourra dire, juger, critiquer ou même commenter. Ou ces malades qui ne connaissent pas mon histoire, qui me répètent que c'est une saloperie, qu'on n'est jamais guéri et parfois même que j'ai "de la chance"...

accroche.JPGJe me souviens d'une dame digne en apparence, snob, qui avait dépassé les 80 ans et fut amenée dans ma chambre à deux lits, dans un vieux service de dermatologie qui n'avait pas encore de chambres individuelles.

Elle m'a saluée, puis ignorée.

J’aurais bien fait de même mais impossible d'ignorer les visites des médecins, impossible de ne pas entendre ce qu'on lui annonce : « votre cancer est revenu ». Et de regarder un tout petit point noir qu'elle avait au mollet.

Elle ne savait pas pourquoi moi j'étais là, elle savait à présent pourquoi elle, elle y était.

Elle paraissait résignée, pas accablée, désireuse de partir rapidement de là, fuir sans doute, mourir en paix chez elle. Alors, trois minutes après l'annonce du verdict, elle essayait de reprendre les choses en main, de choisir sa vie alors que la maladie lui enlevait son futur, elle décréta "coupez-moi la jambe". Qu'on n'en parle plus. Éliminer le membre pour tuer le crabe. Dans sa maison de retraite confortable, étudiée pour laisser passer les fauteuils roulants, elle voyait déjà la fin de sa vie sur deux roues, avec une seule jambe, mais sans cancer.

lit 2.JPGEt puis elle est partie dans un long monologue, je ne peux plus dire si elle s’adressait à moi, si elle parlait à une infirmière ou si elle lançait des mots en l'air comme ça, à l'heure de l'apéro-philo. Je me souviens bien de ses mots par contre qui m'ont plongée dans une colère contenue, qui m'ont blessée plus que tous les examens passés jusqu'alors...

Elle disait:  " c'est une sale maladie vous savez... une vraie merde... mais moi je suis déjà vieille"…

"Si j'avais eu ça à 30 ans, je me serais suicidée"

J’étais dans le lit d'à côté, avec mes 35 ans, à vouloir vivre encore.

Bien sur j'ai compris pourquoi elle disait ça, je suis certaine qu'à 30 ans, elle n'aurait jamais pensé cela, je sais bien... et pourtant, elle m'a tuée, cette mamie. Moral anéanti. Puis rage.

Je ne sais pas si elle est encore en vie aujourd’hui.

profil sourire fossatte.jpgTrois ans plus tard, j'entends encore ses mots.

Je ne sais pas si elle vit encore.

Moi oui.

 

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