Il l’avait déflorée à 20 ans, il y a vingt-ans. Du temps des lettres qui prennent le temps. L’action après les tentations, l’attente, toutes les tentatives, détentes, lascive, tenter sans se lasser, s’enlacer tant et tant. Dans l’ombre ou dans la lumière, paravent ou par derrière, le huis-clos, les oui plus hauts, les yeux ouverts. Ils écrivirent l’histoire qu’ils voulaient vivre, l’histoire d’une femme de chambre, d’un homme de chambre, dans le secret et en totale liberté où le seul extrême était la Vérité de leurs êtres, ils osèrent, ils furent.
Jusqu’à ce que vienne le temps de vivre sa vraie vie après avoir suivi toutes ces envies, une vie si ordinaire qu’elle en devient extraordinaire, de quotidien qui fait du bien, une vie que l’on voit, une vie où l’on court pour rattraper un modèle, concept du bonheur, travail, famille, patrie sans heurt.
Et ils étaient bien, dans leur aveuglement volontaire, à essayer de faire leur la vie qu’ils avaient imaginée.
Elle pensait parfois à lui, comme une vague un peu plus forte, une grande marée.
Il n’a pas oublié l’ivresse de la liberté et l’intensité de ce vécu unique avec elle.
Les grandes marées la chatouillaient trop, érodaient ses souvenirs, rouvraient la plaie de sa défloraison d’exception. Déraison. Déraillé. De la raie. Arrêtée.
Le goût de la liberté lui piquait la langue, il eut peur de devenir vieux, de mourir sec.
Ils se sont retrouvés au temps des mails qui vont vite, ont dit vit. Hésite. Est-ce que le souvenir mérite que l’on tue le désir confus. Con fusion. Faut-il se contenter de vivre puisque revivre est impossible. Peut-on se contenter de ce qu’on est lorsqu’on a tant été. Le virtuel présent ravivait les couleurs du passé réel sans qu’on sache si sans qu’on cache on pourra conjurer et conjuguer au futur. Alors ils furent lâches. Prise la décision du rien.
Elle a voulu tuer le désir de lui, ne plus l’attendre. Il voulait la garder dans son monde fantasmatique.
Elle lui a menti, il est venu à l’Orangerie.
Avec un joli travelling. Elle reprend son souffle avant d’entrer dans la pièce principale ; la caméra perçoit cette fraction de seconde où il la reconnaît.
20 ans…
Le rien, ça se consomme vite. Mais elle voulait cela, pour ne plus se consumer.
Ils se sont quittés dans le silence d’un regard. Avec au fond d‘eux la douce certitude du vécu.
Et ils ont repris leur vie, celle qu’ils avaient imaginée, concept du bonheur, sans heurt, avec en plus un sourire aux lèvres parfois le soir.
Je suis allée à Londres récemment.
Marcher dans les rues, monter dans les bus rouges, commander une bière dans les pubs, vivre en souriant au soleil, vivre avec ta main dans la mienne.
Quelques musées.
Le Tate Modern, œuvres dans une usine électrique. Au détour d’un couloir blanc, juste avant de sortir, pas du tout mis en valeur, presque incongru au milieu des créations abstraites, il m’est apparu.
Ce tableau de Claude Monet.
Water-Lilies.
No lies.
La vérité c’est quoi ?
Pierre restera toujours l’homme aux Nymphéas.
J’aime le film et j’aime l’histoire.
Apaisée je le garde dans mon musée, pièce maitresse, fondation, essentielle, l’essence de mon ciel, encense elle, ses sens, LE sens. Qui m’indique la sortie.
Et je quitte le musée, ta main dans la mienne.