Ils m’ont foutue là : dans la salle du cancéreux.
J’aurais pu surveiller les adolescents exubérants, les petits merdeux déjà fiers d’eux, les inconscients qui se croient déjà grands.
Et je me retrouve là, à surveiller le condamné, c’est ma peine.
Je pensais que je ne supporterai pas de le voir, gonflé, enpansemensé, rougi, bouffi, presque impotent même si les cheveux cachent les cicatrices.
Pour qu’il soit traité comme les autres, j’ai contrôlé son identité, mais je sais bien que c’est lui. C’est lui que je fuis depuis qu’il est revenu au collège, depuis qu’il est revenu dans cette vie, avec un morceau de crabe en moins, avec des espérances de devenir en moins.
Le croiser dans la cour m’est insupportable, comme un mauvais reflet : est-ce ainsi que les gens meurent, dans l’indifférence d’une foule grouillante ? Je le croise dans la cour, ses jambes gonflées ont du mal le porter, il avance droit mais on voit tout ce qu’il porte, on dit bonjour et l’on sourit pour s’excuser d’être en vie et l’on baisse les yeux : dans quelques instants ça ira mieux.
Je contrôle sa convocation, nonchalamment. Sa carte d’identité nationale.
Comme tous les ados, elle est assez récente, il a sa tête d’enfant.
Non, il a sa tête d’AVANT.
Je le connais bien, il était dans ma classe. Je m‘interdis de comparer, je ne veux pas voir qu’il est méconnaissable. A quinze ans, il n’a pas encore vécu pourtant il a déjà eu deux vies.
Moi je suis là et je me demande si un jour quelqu’un se demandera qui est cette femme sur ma carte d’identité.
Combien de fois peut-on renouveler un CDD ?