Il s’appelait Jean, comme le Baptiste, d’ailleurs si on regarde Depret, c’est ce qu’il y avait noté, à l’état civil.
C’était un colosse.
La légende raconte qu’il était boxeur. Je l’imagine à la Marcel Cerdan, avec son torse légèrement velu et sa cage thoracique si développée. Comme un gladiateur dans l’arène. La sueur au front et le sang à la bouche. Et quand il eut planté sa graine dans le ventre de la belle du bal, il cessa ce combat, parce qu’elle lui avait demandé, parce que son cœur se soulevait quand elle le voyait au sol, parce qu’elle avait besoin de lui encore, parce qu’elle le voulait père et mari.
Alors il est rentré dans le rang, il est descendu au fond. Gueule noire comme un héros de Zola, force de la nature qui arrachait à la terre son charbon, donnant sa sueur pour gagner son pain blanc, respirer les poussières qui allaient silicoser son corps.
Il s’appelait jean comme le Baptiste. Il est né dans le Nord, il est né dans les terres.
Il l’a suivie au bal, sa belle, il l’a volée au bon valseur, le rentier en costume, lui qui ne dansait pas si bien. Dès le premier soir, il lui a dit qu’elle serait sa femme. Il y avait entre eux quelque chose qui ressemble au destin. Elle n’a pas pu dire non, il ne lui refusait jamais rien. C'était juste après la guerre, ils ont trouvé la paix.
Elle était fille de cheminot, elle était fille de Théodule.
L’été elle allait à la mer, en train, sur la plage de Malo manger des moules…des moules et puis des frites, au vinaigre.
Cet été là, elle y est allée avec lui, lui le Baptiste qui n’avait jamais vu la mer.
Je les vois bien descendre du train. Elle portait une robe légère de nylon imprimé. Lui, un pantalon de toile claire et une chemise légère. Je les vois avancer, avenue de la mer. Et lui qui sent déjà quelque chose mais ne voit rien, juste une route qui semble ne pas avoir de fin et des magasins qui vendent des bouées gonflables.
Ils arrivent sur la plage et il se tait, l’homme qui n’avait jamais vu la mer.
Colosse au pied d’argile, il avance hésitant sur le sable qui se dérobe un peu sous lui. Corps de pierre au cœur mou, il hésite en voyant l’immensité, perturbé de ce monde qui s’ouvre vers un infini qu’on devine à peine, perturbé par cet univers qui lui était inconnu, apeuré, oui.
Elle court sur le sable, rit à gorge déployée. Il a moins peur avec elle à ses côtés. Il se sent bête et feint l’assurance. Elle voit bien qu’il hésite, elle ne dit rien, elle l’aime tant, déjà.
Et ils sont revenus, le lendemain.
La mer était partie au loin.
Il n’a pas compris.
L’homme qui n’avait jamais vu la mer…
Cet homme si fort, cet homme si faible, c’était mon grand-père…
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On dirait un rivage de le Clézio
On dirait un rivage de le Clézio