Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Père de la tradition

(Librement inspiré de personnes pouvant exister)

Je me demande ce que cela fait, je me demande ce qu’il ressent, le grand homme, l’homme grand qui vient de perdre son père.

Je ne sais pas si je perdrai un jour le mien, ou si c’est lui qui me perdra avant, je me fais croire, depuis trois ans, que je suis prête à ma fin.

Mais lui, le roseau qui penche et ne cède pas,  le roseau qui pense, il ressent quoi ?

Je n’oserai jamais lui demander. Comment rester profonde et légère, comment se rapprocher d’un quasi-inconnu sans souligner notre méconnaissance avec maladresse. Présenter ses condoléances, c’est trop con : convenu, consensuel, si compliqué aussi.

 

Comment tu vas ? Ou plutôt... où tu vas ?

 

Il fallait bien cela, à l’homme à la vie de roman, à l’homme aux mille vies qui courrait sans cesse après la sienne.

palabres.jpgQu’est-ce qu’il peut ressentir pour ce père, qui aima des femmes, sa mère et des autres, qui eu des fils, lui et les autres et s’accrocha, à lui plus qu’aux autres. Il avait reçu de son père son prénom collé par un tiret à celui de l’apôtre, le voyageur, le premier missionnaire.

Ce père qui l’inscrivit dans une lignée, ce père qui lui confia tout un monde, une mission, un destin en disant que c’était le Père, plus haut qui en avait décidé ainsi et ses pairs aussi, ici bas.

Et le petit enfant est parti, arraché à sa mère, il n’aura de cesse que de chercher à téter encore le sein des femmes pour retrouver cette douceur et cesser d’avoir froid.

Et le petit enfant a grandi, loin des siens.

Il a cru, on lui a dit, il a vu, a poussé un cri. C’est lui qu’il voulait réveiller, l’homme qu’il voulait être, pas celui qu’on voulait qu’il soit.

Mais il ne pouvait pas échapper à lui, à chaque fois qu’il croisait un miroir, à chaque fois qu’il se voyait dans les yeux des autres, tout lui revenait à la figure comme une gifle énorme qui ne parvenait jamais à lui rosir le teint. Alors, à défaut de savoir où tout cela pouvait le mener, il s’est accroché à ce dont il était sûr : d’où il venait. En réalisant son devoir, il devenait cet homme que tout le monde croit connaître, avec ses images d’Epinal du Sud, ce que les gens voyaient, ce que les gens disaient, ce que les gens imaginaient.

Même ces lignes sont si loin de sa réalité…

 

Moi je le vois, comme un héros de roman, vivant, ses défauts ne sont là que pour faire croire que c’est un humain ordinaire. Je me fais croire que je le vois quand d'autres ne font que le regarder.

4.JPGIl répète bibliquement «  laisse les morts enterrer leurs morts » mais retournera rougir ses semelles sur la latérite pour accompagner ce père-là, rejoindre son grand-père et le père de son grand-père.

Moi je pense au fils tour à tour modèle et prodige, à la fois l’ainé et l’unique. Ce père qui n’était plus son père depuis longtemps, juste un phare, pour se rappeler qu’il y avait la mer ici, avant. Un vestige d’une simplicité qui lui est depuis longtemps étrangère. Un père qui n’était qu’un homme, un homme d’un autre temps, d’un autre continent. Un homme qui ne pouvait pas entendre ses interrogations, un homme qui ne pouvait pas les comprendre, qui ne pouvait plus le comprendre. Mais qui restait son père…

 

Et le père est parti, laissant l’Aîné Devenir.

 

Je me demande à quoi tu penses, entre la douleur et le soulagement, entre la peur et le vertige, entre la tristesse et l’ivresse, entre toi et toi…

Tant de clichés, de larmes supposées, de figures imposées.

 

Impuissante, étrangère, je dépose en songe un baiser sur tes lèvres de nuage…

 

.

Les commentaires sont fermés.