Et j'avais des terrils à défaut de montagnes
D'en haut je voyais la campagne
Mon père était "gueule noire" comme l'étaient ses parents
Ma mère avait les cheveux blancs
Ils étaient de la fosse, comme on est d'un pays
Grâce à eux je sais qui je suis
De mes racines nordistes, je ne garde que les légendes, qui deviennent plus grosses et plus belles que le quotidien ne le fut. Quelques jours passés dans mon enfance, en visite. Quelques jours passés une fois adulte, à la recherche de l'impalpable souvenir familial.
Des photos vides d'hommes et vide de moi, sauf celle-là...
Des odeurs, des sensations inexplicables, douces et surtout une grande fierté.
Je me souviens du chien qui m'a mordue, donnant naissance à ma phobie, je me souviens de cette langue que je n'ai pas compris tout de suite, de ces sons étranges qui semblaient souder encore plus les grands de ma famille. Je me souviens de cette drôle de montagne de cailloux noirs où rien ne pousse, édifice quasi-religieux, unique relief. Je ne mettais pas de nom sur les choses.
Avec le temps, le Pas de Calais s'est éloigné.
C'est devenu le mythe, l'eldorado perdu, le phare de mes grands-parents. Leur vie était en Lorraine mais ils ont laissé là-bas leur jeunesse et leurs souvenirs.
Ces souvenirs sont devenus les miens. A force d'entendre les mêmes récits, je sais parcourir à vélo les rues sombres de la cité des Cheminots la nuit, après le bal, je sais le sort douloureux des hommes, mineurs courageux qui descendent à la fosse et font vivre bien leur famille, je sais les ateliers de couture, je sais ces petits mains, les ouvriers, le coeur du Nord qui bat, les sacrifices, la vie dans les baraques, le bruit des obus aussi, les familles qui fuient et se perdent, séparées, la contrebande avec la Belgique, les balades sur la plage, les poches pleines de ravitaillement... Je sais les "parties" à Malo.
Je sais ce jour où mon grand père, ce colosse, a vu la mer pour la première fois...
Je sais l'amour qui les a unis, mes grand-parents. Et je sens aussi tout ce qu'on n'a pas dit.
Ch'ti et Lothringer... Deux énormes bouffées d'humanité...
(http://jeanneovertheworld.hautetfort.com/archive/2009/01/31/lothringer.html)
"Grâce à eux je sais qui je suis"...