- Monsieur Grégory Corso, qu'est-ce que la puissance?
- Rester debout au coin d'une rue et n'attendre personne!
J'ai rêvé New York!
J'ai rêvé New York!
J'ai rêvé New York!
New York City sur Hudson!
J’écoutais Yves Simon avant de rêver de New-York.
Je lisais Yves Simon avant d’aller à New-York.
Le vrai luxe pour moi est de retourner quelque part. De re-vivre. Encore et encore.
New-York est ma ville des retours, des hasards, des escales prolongées.
J’aurais beaucoup à écrire pour me justifier, moi qui ne respire que dans les espaces vides d’hommes, où l’insignifiance de l’être hurle.
New-York n’est d’ailleurs pas une ville, c’est un monde dans le monde, une parenthèse baroque.
Lors de mon denier passage, en octobre, je n’ai fait que savourer, retourner, respirer. Comme on emprunte les rues de son enfance, avec émotion et gourmandise, parfois en fermant les yeux, en se nourrissant des sons et des odeurs, une manière de revenir à soi.
New-York est tellement dans les films, les séries, l’imaginaire collectif, que s’y déplacer est tel une bouffée délirante, une crise schizophrène. On croit reconnaître une rue qu’on n’a jamais arpenté. Les sirènes sont familières. On vit mais on rêve. Et quand on retourne dans cette ville, le syndrome ne disparaît pas : est-ce un rêve récurrent ?
Mon meilleur souvenir de cette visite ?
Vingt minutes à attendre… sur le trottoir.
Croisement entre la 40ème Rue et la 8ème Avenue. Il n’y a rien. Enfin, rien de spécial. Le New-York Times Building dresse fièrement sa façade, des femmes pressées vont acheter leur café à emporter chez Dean & Deluca. Un groupe d’afro-américains squatte derrière moi avec une radio qui rape. Le mouvement est incessant autour de moi, à droite une bouche de métro, ligne bleue, A et C, à gauche la sortie de la gare routière. Le monde tourne autour de moi, le monde défile sous mes yeux : des touristes, des riverains, des Américains de passage, des hommes d’affaires, des âmes perdues, des êtres fracassés, sans chaussures…
Les commerciaux des bus rouges des CitySightSeeing sont en escadrille et harcèlent les clients potentiels.
Ils ne me demandent rien.
Peut-être fais-je partie du décor. Peut-être suis-je invisible.
Ils savent qu’ils vont perdre leur temps. Une femme seule, plantée sur le trottoir, qui ne se décroche pas la tête à essayer de regarder le haut des buildings, ça ne prend pas le bus.
Et je reste à mon carrefour, et je jubile.
Je n’ai pas peur, je suis invincible, debout sur mon mètre carré de bitume.
Il y a du spectacle aujourd’hui. Il y a du trafic et des embouteillages. Les voitures, les bus, les limousines, les camions de livraison, tout ce qui roule doté d’un klaxon se retrouve là. Les feux ne règlent plus rien car tout est bouché. Les impatients avancent et empêchent les autres de tourner. Tout se retrouve bloqué en quelques minutes. Les piétons essaient de traverser et slaloment entre les carcasses. Personne ne veut céder.
Je jouis d’être.
Et de ne pas être.
Qui me connaît ici ? Qui suis-je ?
Une privilégiée qui observe.
Une voleuse de moments insignifiants.
Cette sensation, cette liesse intérieure est née parce que j’étais seule à ce carrefour. Ce moment m’appartient, me nourrit et me frustre à la fois car aucun mot ne saurait parfaitement traduire ce bien-être jubilatoire et éphémère.
Je chantonnais Yves Simon…
- qu'est-ce que la puissance?
- Rester debout au coin d'une rue...
et n'attendre personne !