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  • Robinsonnade

    Sur les pentes du volcan Rincón de la Vieja, l’hacienda Guachipelin m’attendait. Pas besoin de ses excursions à sensations, le Costa Rica suffit à affoler mes sens de géographe, la nature fait vibrer mon cœur, j’entends le souffle sourd du volcan, je vis, je suis.
    Les sensations, je les ressens, je ne les achète pas !

    Rincón de la Vieja, c’est le coin de la vieille, selon la légende, le père d’une jeune-fille aurait jeté son prétendant issu d’une autre tribu dans le volcan, l’amoureuse est restée hanter la montagne. Moi, je l’arpente.

    Je laisse les fumerolles et autres mares de boue en ébullition pour m’enfoncer dans la verdure. Comme moi, la nature se nourrit de ce volcanisme, c’est une explosion de vie.

    Les chutes de Chorreras sont mon objectif. chorreras-waterfall-%200614.jpg

    On franchit une barrière qu’il faut refermer derrière soi et on descend, le chemin n’est plus fléché, il faut suivre son instinct et les rigoles laissées par les pluies tropicales.

    Ici, c’est la saison verte, concept touristique inventé pour ne pas effrayer, saison des pluies ça faisait trop gris.

    Je croise un groupe de jeunes en maillots, certains pieds nus, je ne dois plus être loin.

    Je croise un homme qui me dévisage. Il me demande si je vais à la chute...

    Si señor...

    Il se met à me baragouiner je ne sais quoi, no poder, levant les bras au ciel, gesticulant négativement avant de poursuivre son chemin en bougonnant.

    Il ne baragouinait pas : c’est mon espagnol qui est mauvais. Je pense qu’il m’a mise en garde, à cause de la menace d’orage.

    Je lui ai dit que je n’allais prendre que quelques clichés. Il n’a pas vu le maillot qui comprime mes seins et la serviette dans mon sac à dos.

    Je marche encore.

    J’entends le murmure de la chute, elle s’approche, non, c’est moi qui m’approche.

    C’est moi qui la découvre.
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    Elle est toute à moi, avec sa couleur magiquement bleue de ouate, descendant du volcan, chargée de silice.

    Elle n’est pas si impressionnante finalement.

    Tout ça pour ça ?

    Le Rio Blanco a creusé un canyon en amont. Je comprends l’avertissement du gardien, le cours doit grossir avec les pluies et devenir bien plus tumultueux. Je regarde le ciel.DSC_0495.JPG

    Dans les forêts du Costa Rica, on peut rarement regarder le ciel, la luxuriance a vite fait de nous englober.

    Je ne suis pas inquiète.

    Allez…

    Quelques marches aménagées contre le rocher et me voilà sur la grève.

    Je n’hésite plus.

    Je reprends juste ma respiration.

    DSC_0498.JPG

    Chaussures et vêtements abandonnés, me voilà dans l’eau.

    Ni froide ni chaude, on dirait qu’elle m’attendait.

    L’espace de baignade est restreint mais les pierres émoussées sont douces sous mes pieds.

    Très vite je perds pieds.

    Je flotte, bercée par le clapotis, caressée par les molécules d’eau, je sens la force du volcan entrer par tous mes pores, je suis comme suspendue dans cet Éden.

    Je suis au cœur du monde, je regarde tout autour de moi pour fixer ce moment, je deviens un être ressentant, l’apesanteur n’a plus prise, je flotte, je vole.

    La végétation forme mon cocon, le minéral s’allie au végétal en parfaite harmonie.

    Je suis au centre du monde.

    Il n’y a plus que moi.

    Je suis.

    Je laisse doucement s’enfoncer mon corps, je veux me laisser happer et disparaître par le nombril du monde.

    Je sors brutalement ma tête hors de l’eau, le besoin d’oxygène a gagné.

    Je me laisse encore flotter quelques instants.

    La nuit va tomber, il est raisonnable de sortir du Rio.
    DSC_0502.JPG

    Débout au bord de l’eau, j’essaie d’essuyer mes cheveux, c’est dérisoire, j’ai enfilé mon short sur le maillot détrempé.

    Je me sens bien, libérée. J’ai les fesses mouillées, et alors ?

    Qu’est-ce qui est important à ce moment précis ?

    Rien.

    Rien d’autre que l’instant présent.

    Vivre.

    Être.

    Laisser la société au loin, presque à l’état de nature.

    Se baigner dans l’eau claire d’une rivière, comme une Robinsone Privilégiée.

    Je regarde l’eau continuer son chemin vers le Pacifique.

    Je sais bien, qu’on ne peut toucher la même eau deux fois, comme le temps elle passe mais elle m’a nourrie, elle m’a vivifiée, elle fait de moi ce que je suis aujourd’hui.

    Rien ne pourra effacer ces instants passés ensemble, je les garde au fond de ma mémoire, au bord des larmes du vécu.

    Je suis forte de nous.

     

     

  • return ticket

    ALLER

    Je n’en reviens pas du temps qu’il ne faut plus pour rejoindre la capitale.

    ICE.jpgJe ne me fais pas à l’accélération des choses, l’abolition des distances et du temps, théorie de la relativité.

    Suis-je plus près de toi ?

    Sommes-nous plus proches pour autant?

    J’aimais bien ce sas de décompression

    - ou de con pression -

    du temps où il fallait quatre heures pour venir à toi,

    quatre heures pour devenir une autre,

    pour devenir moi.

    J’aimais tant attendre.

    Attendre tes lettres,

    attendre tes lèvres,

    la vie suspendue restait la vie.

    Feus mes souvenirs :

    je m’y réchauffe et me consume.

    Feu vient du latin fatatus, qui a accompli sa destinée …

    L’était-on ? Destinés ?

    Les têtons… ?

    Tais-toi !


    Le train amène divagation de l’esprit, les secousses mélangent les idées, heureusement que les rails sont bien fichés dans le sol, mon esprit divague mais mon corps assurément se dirige vers…

    Vers toi ?

    Ivresse.



    RETOUR


    La gare de l’Est n’a pas beaucoup changé.

    Elle a pris des cheveux blancs mais comme moi elle triche, elle fait des mèches, ravalement de façade.

    Subrepticement, elle est passée au XXIème siècle et moi je me souviens.

    gare_de_l_est_1391006_18.jpgDes immeubles ont poussé, d’autres cachent leur décrépitude sous les tags, mais c’est la même ville à laquelle je m’arrache avec ce même sentiment de parenthèse qui se ferme, je m’en retourne à ma vie de femme comme je m’en retournais à ma vie d’étudiante.

    Je laisse s’humidifier mes yeux, sans tristesse, juste un élixir nostalgique et l’émotion d’un vécu.


    Le sentiment de me toucher du doigt.


    Le train m’emporte à plus de 300 kilomètres/heure, il semble pressé le con !

    Il ne me laisse pas regarder en arrière.

    Sans arrêt, sans changement, inéxorablement il m’éloigne.


    J’en sors décoiffée.

    Je sors de la gare comme on cherche à reprendre son souffle en le perdant,

    comme je me suis réveillée de la dernière anesthésie :

    un choc, une forte douleur à l’inspiration,

    comme la vie qui essaie de revenir en moi.


    Je me retrouve dans le noir brumeux d’une nuit germanique.

  • Le plus beau métier du monde

     

    On a tendance à abuser des superlatifs.

    Et à faire des raccourcis.

    Et à généraliser.

    Un monde en noir ou blanc.

    Alors qu’il y a une infinité de nuances de gris…

     

    Un film reprend ce titre pour parler de la profession de professeur : le plus beau métier du monde !

    J’ai eu de la chance, il s’en est fallu de peu, d’un adjectif, pour que j’exerce le plus vieux métier du monde !

    Comment se fait-il que je n’exulte pas tous les jours de joie à l’idée de rejoindre le collège ?

    Comment se fait-il que je finisse, comme beaucoup, par compter les jours qui me séparent des prochaines vacances, ces avantages qu’on nous balance, à chaque fois, comme réponse à nos doléances ?

     

    Je profite d’une éclaircie pour écrire cet article et dire combien j’aime mon métier.

    J’ai toujours aimé préparer des cours, chez moi, bien au chaud, me documenter au niveau scientifique comme on dit pompeusement, mais surtout réfléchir à la meilleure manière de faire comprendre une notion, adapter mon vocabulaire sans trahir mon domaine de prédilection.

    Même si cette année, une réforme aux forceps nous mène à devoir refaire les cours des tous les niveaux en même temps.

    Je n’ai jamais détesté effectuer des corrections, chez moi, bien au chaud. J’ai plus souvent souri que désespéré. Je ne dis pas interrogation, je dis contrôle, juste une vérification des acquis, du compris.

    J’ai tout un album de perles de collégiens, plus touchants que ridicules.

    Même si, les années passant, les maladresses d’enfants se muent en néant, il y a plus de copies blanches que de ratures.carte.jpg

    Je n’ai par contre pas toujours aimé donné mes cours, au collège, bien au froid.

    Fatiguée d’avoir plus à éduquer qu’à enseigner, épuisée du bruit, des cris, des drames sans rapport avec mon programme.

    Salle_de_classe_lfc01.jpg

     

    Alors j’ai réduit mon temps de travail…

    Qu’importent les cotisations, si je vis assez longtemps pour toucher une retraite, je me consolerai en me disant que jamais je n’aurais pensé rester si longtemps en vie.

    Faire autre chose ? Aussi modique soit la paie, elle reste honorable. Et puis il reste ces fameuses vacances pour se consoler, pour se retaper…

     

    Le métier a changé.

    Les enfants ont changé.

    J’ai tellement changé…

     

    Je profite d’une éclaircie pour dire mon bonheur…

    J’ai des petits élèves de sixième adorables cette année.

    Bonheur des classes peu nombreuses, 22 élèves au lieu de 30, ça change la vie, ça change l’enseignement ! On n’entend pas les mouches voler, mais le ventilateur du vidéoprojecteur fait un boucan d’enfer quand ces têtes pas toutes blondes réfléchissent !

    La semaine passée une collègue a eu un malaise en présence de neuf de ces tous jeunes collégiens. Je me suis retrouvée à faire la cellule psychologique pour ces traumatisés en pleurs qu’on avait isolé, j’ai été une des premières personne à les écouter, à les laisser parler, à les obliger à verbaliser. Ils ont été solidaires, ils ont été exemplaires.

    Une belle bouffée d’humanité.

    En quittant le collège ce matin, je partage le chemin avec les élèves dont je suis professeure principale, ils sortaient de mathématiques et spontanément m’ont dit leur fierté d’avoir eu une bonne note, comme si j’étais leur maman !

     

    Je ne suis pas leur maman.

    Je ne suis pas une maman.

     

    Je n’ai jamais trouvé de substitution, pour moi un élève n’est même pas vraiment un enfant, un élève est un apprenant. Un être unique et seul, détaché de son univers, plongé dans le bain républicain.

     

    Ils sont formidables ces jeunes, encore épargnés quelques mois par les affres de l’âge qu’on nomme ingrat à juste titre.

    Ce matin un petit rouquin pleurait, ayant du mal à terminer son contrôle : « ma maman, elle est fâchée si je n’ai pas un 15... ».

    De quoi me faire mollir !

     

    Mollir, moi ? Jamais !

    Les plus âgés piétinent déjà devant la porte, j’entends des hurlements, des coups dans le mur et des insultes, qui n’en sont pas, juste des expressions amicales « fils de pute », « PD », celui qui n’en a pas son lot n’a pas la reconnaissance de ses pairs.

    Les plus âgés sont là pour me ramener à la réalité : mon métier redevient un emploi.