Sur les pentes du volcan Rincón de la Vieja, l’hacienda Guachipelin m’attendait. Pas besoin de ses excursions à sensations, le Costa Rica suffit à affoler mes sens de géographe, la nature fait vibrer mon cœur, j’entends le souffle sourd du volcan, je vis, je suis.
Les sensations, je les ressens, je ne les achète pas !
Rincón de la Vieja, c’est le coin de la vieille, selon la légende, le père d’une jeune-fille aurait jeté son prétendant issu d’une autre tribu dans le volcan, l’amoureuse est restée hanter la montagne. Moi, je l’arpente.
Je laisse les fumerolles et autres mares de boue en ébullition pour m’enfoncer dans la verdure. Comme moi, la nature se nourrit de ce volcanisme, c’est une explosion de vie.
Les chutes de Chorreras sont mon objectif.
On franchit une barrière qu’il faut refermer derrière soi et on descend, le chemin n’est plus fléché, il faut suivre son instinct et les rigoles laissées par les pluies tropicales.
Ici, c’est la saison verte, concept touristique inventé pour ne pas effrayer, saison des pluies ça faisait trop gris.
Je croise un groupe de jeunes en maillots, certains pieds nus, je ne dois plus être loin.
Je croise un homme qui me dévisage. Il me demande si je vais à la chute...
Si señor...
Il se met à me baragouiner je ne sais quoi, no poder, levant les bras au ciel, gesticulant négativement avant de poursuivre son chemin en bougonnant.
Il ne baragouinait pas : c’est mon espagnol qui est mauvais. Je pense qu’il m’a mise en garde, à cause de la menace d’orage.
Je lui ai dit que je n’allais prendre que quelques clichés. Il n’a pas vu le maillot qui comprime mes seins et la serviette dans mon sac à dos.
Je marche encore.
J’entends le murmure de la chute, elle s’approche, non, c’est moi qui m’approche.
C’est moi qui la découvre.
Elle est toute à moi, avec sa couleur magiquement bleue de ouate, descendant du volcan, chargée de silice.
Elle n’est pas si impressionnante finalement.
Tout ça pour ça ?
Le Rio Blanco a creusé un canyon en amont. Je comprends l’avertissement du gardien, le cours doit grossir avec les pluies et devenir bien plus tumultueux. Je regarde le ciel.
Dans les forêts du Costa Rica, on peut rarement regarder le ciel, la luxuriance a vite fait de nous englober.
Je ne suis pas inquiète.
Allez…
Quelques marches aménagées contre le rocher et me voilà sur la grève.
Je n’hésite plus.
Je reprends juste ma respiration.
Chaussures et vêtements abandonnés, me voilà dans l’eau.
Ni froide ni chaude, on dirait qu’elle m’attendait.
L’espace de baignade est restreint mais les pierres émoussées sont douces sous mes pieds.
Très vite je perds pieds.
Je flotte, bercée par le clapotis, caressée par les molécules d’eau, je sens la force du volcan entrer par tous mes pores, je suis comme suspendue dans cet Éden.
Je suis au cœur du monde, je regarde tout autour de moi pour fixer ce moment, je deviens un être ressentant, l’apesanteur n’a plus prise, je flotte, je vole.
La végétation forme mon cocon, le minéral s’allie au végétal en parfaite harmonie.
Je suis au centre du monde.
Il n’y a plus que moi.
Je suis.
Je laisse doucement s’enfoncer mon corps, je veux me laisser happer et disparaître par le nombril du monde.
Je sors brutalement ma tête hors de l’eau, le besoin d’oxygène a gagné.
Je me laisse encore flotter quelques instants.
La nuit va tomber, il est raisonnable de sortir du Rio.
Débout au bord de l’eau, j’essaie d’essuyer mes cheveux, c’est dérisoire, j’ai enfilé mon short sur le maillot détrempé.
Je me sens bien, libérée. J’ai les fesses mouillées, et alors ?
Qu’est-ce qui est important à ce moment précis ?
Rien.
Rien d’autre que l’instant présent.
Vivre.
Être.
Laisser la société au loin, presque à l’état de nature.
Se baigner dans l’eau claire d’une rivière, comme une Robinsone Privilégiée.
Je regarde l’eau continuer son chemin vers le Pacifique.
Je sais bien, qu’on ne peut toucher la même eau deux fois, comme le temps elle passe mais elle m’a nourrie, elle m’a vivifiée, elle fait de moi ce que je suis aujourd’hui.
Rien ne pourra effacer ces instants passés ensemble, je les garde au fond de ma mémoire, au bord des larmes du vécu.
Je suis forte de nous.