Il était deux fois, ou bien trois.
C'est arrivé, ou bien pas.
Mais ce ne sera plus. C'est ainsi.
D'ailleurs est-ce que cela a vraiment été ?
L'hiver a tout emporté, congelé les cœurs, étouffé les pleurs.
Elle est venue à Paris comme on s'enfuit,
elle a voulu abandonner sa vie.
Avant la guerre on prenait le temps,
on avait le temps,
pour passer d'un monde à l'autre,
quatre heures pour rejoindre la capitale,
quatre heures pour se dire,
se faire croire,
que c'est une autre dans le miroir,
la tête collée contre la fenêtre à regarder les paysages filer,
et défiler,
comme un passé qu'on détricote.
Avec le TGV, elle a quatre-vingt minutes pour se dire « cette autre, c'est moi ».
Elle aimait se promener dans les rues,
même celles aux arrières-cours sombres, aux murs borgnes,
elle aimait Paris car elle n'y était personne,
ni la femme de,
ni la dame qui,
personne, juste Elle.
Une exposition, une crêpe, le jardin des Tuileries.
Elle marchait,
vite,
on marche toujours plus vite quand on n'a pas une main à tenir,
on fait croire qu'on va quelque part.
Elle moissonnait, à chaque rue, à chaque station de métro,
elle récoltait ses souvenirs et avançait de plus en plus difficilement, de grosses bottes fanées sous les bras.
A parcourir la ville-lumière, elle sortait de l'ombre tout ce qu'elle avait tu : son vécu.
Elle déposa tous les petits bouts de son passé sur le lit de l'hôtel, refit mentalement le puzzle d'elle et s'endormit,
réunie,
avec aux lèvres l'amertume de n'être pas plus souvent
et au cœur un déchirement schizophrène.
Elle déjeune seule et se ravit de pouvoir le faire,
il lui faut trouver la force d'assumer cette solitude,
elle s'affiche, elle ne peut se cacher derrière un rôle,
derrière un autre.
Elle déjeune, troisième personne du singulier.
Pourtant, elle aime le pluriel,
surtout lorsque le masculin l'emporte.
Une promenade dans le répertoire de son téléphone,
la voilà parcourant des prénoms d'hommes,
pour jeter une bouteille à la mer, un SMS et attendre.
Et elle attend.
Il répond.
Tard.
Il veut la voir.
Il veut l'avoir.
Mais elle part.
Alors il court, accourt, la courtise.
Gare de l'Est, vite !
Allez, Quick, un café.
Leurs bouches racontent des banalités,
leurs lèvres embrasent leurs rêves,
leurs bouches racontent des civilités,
leurs yeux passent aux aveux : les ventres réclament.
Bien sages sur leur siège, en vitrine du fast-food, ils connectent leurs rêves et voyagent,
ils ne se disent rien mais s'avouent tout,
ils ne se connaissent pas mais partagent l'essentiel : le désir de l'autre.
L'heure du train.
Ils se quittent sur le boulevard.
Gourmands, impatients, leurs doigts s'emmêlent, s'attachent, se rebellent.
Les corps s'attirent, la raison dit non
les cœurs s'affolent, alors à quoi bon...
Lèvres contre lèvres, sur le trottoir le monde s'évanouit.
Il ne reste qu'eux.
Liés par quelques centimètres carrés d'humidité, ils parlent la même langue,
ils ne se promettent rien mais savent qu'ils le veulent,
ils scellent les possibles d'un baiser.
Elle rejoint sa campagne,
il rejoint sa compagne.
Il était une fois.
Il était deux moi.
Il ne sera jamais.
Commentaires
No comment c'est déjà trop.
Les non dits, les non écrits, j'écris NON le vécu doit être vécu, l'absence ne pas y être et le souvenir en sus venir.
Se dire que c'était cela qui devait être vécu
Ne pas se dire j'ai été vaincu.