Elle attend là,
toute recroquevillée,
au coin du monde,
la femme sans bras.
Sont-ils tombés faute d'enfant à serrer, ou l'incapacité à soutenir a-t-elle dissuadé les petits de venir ?
On ne sait pas, on ne saura jamais.
Elle est là,
toute recroquevillée,
impuissante.
Elle fait le dos rond, elle s'enroule pour que tout tourne rond, pour que tout coule, mais c'est elle qui tourne en rond et le temps qui s'écoule.
Elle aimerait qu'on l'oublie.
Qu’elle s'oublie.
Ou plutôt qu'elle se trouve, au fond de ses entrailles vides, qu'elle devienne, qu'elle s'enfante enfin en coupant les cordons sans renier les liens.
Qu’elle marche seule, qu'elle marche saoul, ivre d'elle.
Mais là, elle se ferme, la femme sans bras, elle enferme le mal, tenter de l'étouffer.
Et se taire.
Elle se terre.
Elle se ferme mais on ne peut pas ne pas le voir : son sexe béant, son sexe fendu, ouvert, aux lèvres supplicantes.
Elle se referme pour qu'on ne le voit pas.
Et si elle voulait qu'on la voie, en boule, qu'on l'ouvre comme une huitre dont on chercherait la perle ?
Non, elle est vide.
Elle ne voit que cela, la tête baissée : son sexe qui vit alors qu'elle aimerait tant exister sans lui, son sexe qui souligne son inutilité par des larmes de sang, récurrentes, accusantes, menstruelles, monstrueuses.
Elle le regarde encore plus étrangement,
son sexe,
depuis qu'il pleut,
depuis qu'il pleure,
comme s'il ne savait pas comment faire pour hurler plus fort, risque majeur d'inondation lorsque se secouent les corps. Il ne sait plus très bien ce qu'il est, entre le féminin et le masculin, à cracher ainsi.
Il dégueule, il dégouline.
Il déverse ses tripes sur le sol, il redonne à la terre ce qu'elle ne lui a pas donné, un jus transparent, qui existe à peine, qui la dessèche, qui la met en peine.
Peut-être lui a-t-on ôté les bras, qu'elle ne vienne pas chahuter son sexe, qu'elle le laisse orphelin et inaccessible.
Peut-être lui a-t-on ôté les bras pour qu'elle ne s'ôte pas la vie.
Sculpture de Jeanne Magnani.