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Le thé chez les Kiss

Tu m’en  avais souvent parlé mais je ne les connaissais que de nom, sans trop savoir pourquoi tu passais les voir alors qu’il n’y avait pas d’actualité.

 

La porte s’est ouverte et le sourire de Nina a effacé mes réticences de fille timide qui n’ose pas aller si facilement vers les autres, vers l’inconnu.

Et la petite dame m’embrasse  comme si j’étais sa fille, et répète mon prénom pour me faire sienne.

Et le maitre arrive, chétif, amoindri, vouté mais souriant.

kiss café.jpgOn s’installe sans manière autour de la table, elle prend les fleurs et lui conserve le papier alu et le papier froissé, déjà une sculpture nait dans ses mains, déjà ses yeux brillent de la matière et des formes.

 Au milieu de sa septième décennie, il n’a plus rien à prouver, il vit encore, il est, même si trop peu de gens le connaissent.

 http://www.republicain-lorrain.fr/fr/permalien/article/1022100/Sandor-Kiss-chevalier-des-Arts-et-des-Lettres.html 

Il a perdu de sa superbe, mais je doute qu’il en ait jamais eu, il est artiste malgré lui, c’est en cela que l’on voit le talent.

Il ne le fait pas exprès. Lorsqu’il fait bouger la matière entre ses doigts il n’a plus d’âge, la joie habite son être, il vit en dehors de son vieux corps.

 L’armoire qu’un préfet du Sud lui a command attend dans le salon qu’on vienne la prendre mais maintenant qu’il est vieux et presque oublié il a retrouvé la joie de créer sans commande, regrettant parfois quelques œuvres qu’il avait du adapter aux gouts des donneurs d’ordre, du temps où il fallait bien manger.

 Il parle du Budapest d’avant, de sa chienne si bien dressée qu’elle n’a jamais connu la laisse, juste une cravate, le temps de faire semblant et de gagner un concours.

 Sandor  parle et Nina le laisse parler, il parle et elle le regarde.

 Plus d’un demi siècle partagé et elle l’admire toujours autant.

 Il créait, elle nettoyait, il créait, elle était là.

 Et il sourit et il la regarde.

 Parfois ils ne se comprennent pas, il change la pile de son sonotone, elle connaît tant ses histoires qu’elle le laisse raconter sans trop écouter.

 Elle n’a pas fini de l’aimer.

 Pour célébrer notre rencontre je dois choisir dans les carnets de dessins du maitre.

 Paysages, visages ou nus. 

kiss litho.JPGJe souris et n’hésite pas, je ne cherche pas le plus beau, je cherche celui qui est pour moi…

Une femme nue, allongée, offerte mais pudique.

Et rouge, la seule en rouge.

Le sang.

Au dos une autre femme, presque la même, floue et sombre.

La nuit.

Pour moi aussi.

Et Nina, fière, amoureuse, vérifie que les œuvres sont signées.

 

Tu m’en  avais souvent parlé mais je ne les connaissais que de nom, sans trop savoir pourquoi tu passais les voir alors qu’il n’y avait pas d’actualité.

Maintenant je sais pourquoi, il n’est pas besoin d’actualité pour aller voir des gens qui ont une telle humanité.

 

 

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