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les mots des hommes

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" Fixement, le ciel se tord
Quand la bouche engendre un mot
Là, je donnerais ma vie pour t'entendre
Te dire les mots les plus tendres"

(Farmer/Seal)

Lorsque vient le nuit et que je rejoins mon lit, dansent parfois au plafond les hommes qui furent et sont. Ils flottent au dessus de mon corps s’endormant,  ombres noires ou fantômes blancs, leur ballet chasse le jour et dépoussière mon vécu. Leur ronde forme le monde, je regarde émerveillée mon amour de l’humanité : toutes ces couleurs, toutes ces tailles, toutes ces religions, toutes ces obédiences, et même toutes ces inclinaisons, quel tourbillon.

 

Ils lancinent, ils lambinent, ils se dandinent, ils badinent, ils biguinent, ils m’embobinent, à s’en lécher les babines, à supplier la returbine. Inaccessibles pines, amère gourgandine, triste Messaline.

 

Le sommeil me happe dans une confusion, j’aimerais qu’il me frappe, en libération.

Je me retourne, l’échine orpheline, je musardine, je dodeline, je m’invagine. Laissez-moi !

 

Les spectres m’emportent, la ouate est chaude, je pédale dans la naphtaline sans jamais entrer dans leur danse. Les feuilles, les pétales, la neige, tout s’envole, le rêve plante des chamallows sur les aiguilles du temps, je ramasse tout ce que je peux, j’amasse, empêcher qu’hier ne s’efface.

 

Je vois des lettres vaporeuses, je contemple mon bouquet fait de mots.

Dans le laiteux paysage du songe, des phrases en sourdine, le souffle de lèvres purpurines  et dans ma main trois mots qui se dégagent, ceux qu’ils utilisaient, trois parmi tant.

Honorer.

Prendre.

Posséder.

Des mots d’hommes.

Honorer sa femme, lui faire l’honneur d’une visite, un engagement par contrat reconduit tacitement, un geste magnanime, un don juste pour la satisfaction orgueilleuse du devoir accompli. Recevoir alors, comme un droit de l’homme, sans se poser vraiment la question du vouloir.

Prendre une femme comme on vole un bonbon, prendre sans demander l’autorisation, sans avoir la position. Parce que c’est dû ? Un délit en état de nécessité ? Se donner alors dans ce cas, par pitié, par obligation morale, l’aumône.

Posséder une femme, être en elle et l’avoir à soi, pour soi, une victoire de l’égo, un trophée dans une vitrine. Accepter alors, « tu m’as eue », « je me suis faite possédée » en refusant le sens figuré, en espérant que la porte de la vitrine ne se referme pas.

 

Les mots d’hommes révoltent les femmes autant qu’ils les aliènent.

Je suis si flattée quand tu m’honores.

Je te supplie la nuit, le jour, de me prendre encore.

Je défaille à l’idée de me laisser par toi posséder.

 

J’aimerais réinventer les verbes, qu’ils tendent vers la réciprocité et l’échange.

Il faudrait réinventer les rapports, tous les rapports.

Oublier ce que nous sommes pour devenir ceux que nous sommes.

Oublier les mots finalement.

Vivre, encore et encore.

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