Je pars de San Miguel
Dis-lui pour moi
Que j'ai emporté le soleil
Pour qu'elle ait froid
Je pars de San Miguel
Tu la verras
Ne lui donnes pas de mes nouvelles
C'est mieux comme ça
(P. Lavil)
Le soir sur le quai, côté argentin, je regardais l'horizon où brûlait l'Uruguay.
Le voyage s'approche du mirage, les bateaux volent, mon imagination s'envole.
De l'avion déjà, je contemplais depuis le hublot ce fleuve rougissant. Rio de la Plata s'élargit en s'approchant des côtes, en s'approchant de sa mort. Avant de s'oublier dans l'océan, il se vide dans une vague d'alluvions, il se dissout dans une mare d'illusions. Du ciel on dirait une blessure qui suppure, une plaie qui ne cicatrisera jamais. Sans pont, sans lien, si proche, si loin.
Le soleil rasant faisait de l'eau un miroir sombre et me renvoyait cette image : deux rives, dérive.
J'ai pris le bateau pour Colonia del Sacramento, voir ce patrimoine historique et culturel, pour tenter de mieux comprendre cette humanité censée nous fédérer.
Passé le port, quelqu'un a tamponné mon passeport.
Bien sûr, il y a, à Colonia, la ville moderne et ses buildings, bien sûr, il y a , à Colonia, de vieilles ruelles pavées venues d'hier et d'autres, moins vieilles, pavées des bonnes intentions de rénovation d'aujourd'hui.
Moi, j'ai vu un heurtoir de porte qui ne voulait pas laisser entrer l'étranger dans la demeure d'une femme mariée.
Moi, j'ai vu les toits où les antennes rivalisent avec les palmiers et les clochers.
Moi, j'ai aimé m'asseoir et ne rien faire, boire une pina colada du tonnerre, regarder les vieux, regarder les chiens...
Je baigne en Hispanie, je vais au bout de la ville, au bout de la vie.
Au soleil, un banc public a perdu ses amoureux.
Plus loin il n'y a que le fleuve, rougi par les désirs des hommes, rougi par le sang des femmes.
Je m'assieds sur ce quai sans rambarde et je regarde. Je ne fais que cela : emplir mes poumons d'un oxygène chaud, déguster la caresse mortelle des rayons du soleil sur ma peau.
Autant en emporte Rio del Plata, je regarde passer le cadavre des désirs, leur danse est douce à mon coeur. J'aime l'insignifiance de ce lieu, parce qu'on y voit ce qu'on veut.
Je ne fais rien d'autre que vivre et c'est doux, et c'est tout.
Une vieille chanson me revient : Ne lui donnes pas de mes nouvelles, c'est mieux comme ça...
Et une autre :
Loin de tout, loin de moi
C'est là que tu te sens chez toi
De là que tu pars, où tu reviens chaque fois
Et où tout finira. ( "Il y a", JJ Goldmann )