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la semaine des quatre jeudis

jeanne.jpgLe confinement m'a replongée dans mes archives.

Je vous soumets ce texte érotique qui est un de mes préférés.

Tous droits réservés.

 

 

 

 

La semaine des

quatre jeudis.

 

Une histoire sans chrono-logique.

 

J’ai poussé la porte, un jeudi.

Tu semblais m’attendre, depuis dix minutes, dix mois, peut-être dix ans.

J’ai déposé mon sac sur le banc comme on dépose les armes, j’ai enlevé ma veste, mon écharpe, j’ai laissé toute la société dans un coin, plus de frima automnal, rien qui nous rattache à une saison. La porte fermée, je suis débarrassée de tout ce qui m’enchaînait à la vie officielle. Une vitre nous sépare du tumulte d’une rue que je regarde encore un peu, sans la voir. La ville, soudain, est bien loin, de l’autre côté. Je pourrais avancer la main et toucher le monde mais je suis bien dans ta bulle.

Tu m’as servi un verre, nous avons continué une conversation jamais entamée.

Je te découvre de nouveaux yeux, d’une noirceur tellement douce. Je ne savais pas que tu en avais plusieurs paires. Tu m’enveloppes déjà du regard, tu me caresses du bout ténébreux de tes iris, tes pupilles sont des bras qui m’enserrent, à m’en couper le souffle, déjà.

Je me demande où tu les ranges, ces yeux là, quand tu pars travailler. Je me dis que je vais devoir te suivre à présent, dans le sens du vent ou à contre-courant, pour surveiller qu’ils ne tombent pas de ta poche. Et je vais devoir aussi surveiller la météo, m’assurer qu’un anticyclone rejette bien loin de ta vie les giboulées piquantes et les dépressions givrantes qui pourraient t’ôter cette douce brillance dans le regard. Reste à l’abri de ces écarts de température qui font blanchir le chocolat.

Tes yeux se posent sur moi et le voile est levé.

Tu ne dis rien de plus.

Me vient le désir de te les voler, ces yeux, et cet éclat jubilatoire. Il faut que je t’espionne, que je regarde où tu les caches, le soir, que je m’en empare. J’ai l’impression que tu me vois telle que je suis, mes ombres et toute la lumière que je mets pour éblouir et ne pas être vue. Où as- tu volé cette rétine qui te permet de voir correctement mon image ? Qui t’a donné ces lunettes qui te donnent cette préemption sur le monde ?

Le regard sur un dehors qui devient flou, nous reculons pour nous enfoncer dans un coin de bulle où les lumières des vivants ne peuvent nous atteindre. Du regard on s’accroche encore à nos vies extérieures mais nos pieds foulent un tapis bordé de convenances, encore un pas et nous voilà hors de la civilisation.

Tu me prends la main et je n’ai plus peur.

La danse des doigts mêlés, le nappage des mots sucrés, le fondant des sourires avoués, je me délecte de ces mignardises. Il n’y a que nos corps côte-à-côte, un peu voûtés, comme pour se mettre encore en bulle, nos corps côte-à-côte qui hésitent encore à fusionner leur sphère. J’emplis mes poumons de l’air que tu m’as laissé. Je fuis tes yeux de peur de m’y voir.

Tu t’approches encore un peu, je m’accroche encore un peu à tes mains. Nous sommes tout au bord. Prêts à basculer.

Quelque chose m’aspire. Je te tiens la main mais je vacille, une seconde tu me retiens, une seconde tu m’entraînes. Peut-on encore vraiment résister ? Un regard, complice, résigné et l’on tombe. Avec la consolation de ne pas être seul dans cette nouvelle ère. Perdus, mais ensemble. Je m’accroche à tes bras, peut-être que ta chemise sera notre parachute. Je laisse ma chaise tomber derrière moi, je m’amarre à ton cou, moi qui crains tellement de m’attacher.

Commence une exploration riche en jalons, tes doigts investiguent mes terres défrichées, mes espaces oubliés, tout mon corps bornoyé.

Les boutons déboutonnés, les agrafes dégrafées, le tissu s’est effacé, révérence devant ta détermination et ta précision d’homme, devant ce dosage subtil de force et de délicatesse.

Ta main habille mon sexe, plus chaude que le coton ouzbek, plus fraîche qu’une soie chinoise, plus fleurie qu’un tissu de Damas, plus sauvage qu’un lin égyptien. Ta main sur mon sexe, c’est l’univers résumé, la réunion de tous les continents, un sentiment de plénitude universelle. Il n’y a plus de jour, il n’y a pas d’heure, je ne sais pas si c’est la nuit, c’est juste la vie, je le sens. Il n’y a pas de lieu non plus, rien autour ne compte, pas de décor, juste l’essentiel, juste toi. Il n’y a pas de saison, pas de pluie, pas de soleil, pas de froid, que des frissons et nos chaleurs mêlées.

Ta main dans ma culotte, à la porte de mes grottes, me déboussole.

Je perds toute référence, tu tournes mes pages d’un doigt humide passé sur les lèvres.

J’ai la raison à l’Ouest et le ventre si méridional, j’ai mâle.

Tes cheveux rasés ne m’offrent aucune corde, je vais me noyer dans mon propre jus.

Un gémissement, un appel à l’aide…

Il aura suffit d’un doigt pour ancrer mon cul, j’aime cette bitte là aussi.

Tu fixes mon corps à ton port.

Nous tombons plus loin, bien accrochés.

On se cherche encore, j’ai si peur d’aimer l’abîme que mes bras ne quittent plus ta nuque, mes mains s’enroulent sur ton crâne. Je te serre à n’en plus respirer, j’aimerais que tu sois plus proche encore, que tu habites en moi, pas seulement ton sexe mais tout ton corps dans mon intérieur, prends mon fort, viens en mon sein.

Tes lèvres sont douces à mes aréoles, je regarde nos peaux en contact, dans l’ombre.

En déchaussant tes lunettes, tu as perdu des années, je vois un enfant au visage rond, aux pommettes malicieuses, un gourmand de vie qui tète, yeux fermés.

Ta langue qui tourne sur mes tétons corrige l’image : l’âge t’a rendu plus gourmet.

J’aimerais aller au contact de ta peau, j’essaie de me glisser sous ta chemise, mais…

Alors, je range mes doigts bien au chaud derrière tes oreilles, mes pouces divaguent sur tes joues. Mes mains sont l’écrin d’un visage que je veux pouvoir reconnaître même lorsque la vie m’aura enlevé la vue.

Je colle ma joue à ta joue, doucement je me promène sur ton visage, je te dé-figure : mon nez, mon menton, mes lèvres, mon front veulent se fondre dans ton nez, ton menton, tes lèvres, ton front. Face contre face, caresse contre douceur.

Je te prends, toi. J’ai ta tête entre mes mains, je contrôle ton monde. Entre mes mains, tout un univers de traditions en offrande.

Tu t’enivres, nous nous respirons, plus fort, je t’éloigne par réflexe.

Je reviens, j’ai encore faim, je te croque le coin de l’œil, nos bouches se cherchent, ma langue te lèche, un peu, et se refuse.

La tête me tourne, à partager ta bulle je frôle l’hypoxie.

Je dois retourner au monde.

Vérifier que la terre n’a pas trop tourné sans nous.

En franchissant la porte, je fais un grand pas pour ne pas trébucher, j’enjambe ce gouffre qui s’est creusé, entre l’irréalité vraie du vécu et le réel faux de la rue.

Mes pas hésitent sur le pavé avant de se remettre au rythme des autres.

Les marronniers font chanter les feuilles et soulèvent mes cheveux. J’aimerais dompter cette crinière, folle ivraie, cette folie vraie. Je dégage mes yeux : les arbres penchent, craquent les branches sous le poids des pommes rougies, promesses sucrées, avenir à croquer.

Je croise des squelettes. Une vieille dame, cheveux gris cachés sous un chapeau de laine, promène son chien en laisse. Elle tourne la tête, semble me reconnaître et me dit « bonjour ».

Je te laisse, rattrape-moi.

Je mets de la distance, réclame-moi.

Je me réserve, entame-moi.



 



J’ai poussé la porte, un jeudi.

Tu m’attendais encore, sans que je puisse dire les minutes, les mois et les années.

J’ai attendu aussi ton désir d’encore, j’ai cru avoir rêvé tes yeux doux, j’ai regretté le réel. Je tire la chevillette, je vois ta bobine, je rembobine.

En posant ma veste et mon sac sur le banc, j’ai ressenti un plaisir libératoire : enlever sa burqa pour vivre, à l’abri des regards, sous tes yeux. Je dépose les larmes à l’entrée, la porte fermée je me sens pacifique, mes rancœurs s’évaporent à l’approche de tes pupilles câlines. Le monde est toujours là, derrière la vitre, il y a peut-être plus de passage, je ne vois que des silhouettes qui s’éloignent, je deviens myope, il n’y a plus que toi sans flou.

Sens fous.

Tu m’as servi un autre verre, le même, sans demander.

Je vis l’imperfection exquise des débuts, peut-on seulement retrouver éternellement l’ivresse des balbutiements ? J’aimerais bien, en toute connaissance de cause, en toute connaissance de conséquences, revivre encore et en corps, plonger dans ton monde et m’émouvoir d’un contact qui serait toujours le premier.

Je cherche les mêmes mots, insipides mais apaisants, des mots simples de la vie de façade pour entrer progressivement dans l’envie, les mots qui posent avant ceux qui osent.

Parler de la pluie, du froid, c’est jubilatoire dans la complicité, parler de rien en regardant dans la même direction, c’est déjà jouir d’un savoir supérieur sur le monde de la rue, une connaissance de toi que j’ai, propriétaire de la clé de la porte secrète des jeudis ensemble.

Dans cette proximité encore distante, tu n’ajoutes rien, comme si, toi aussi, tu jouais à retarder le moment de la bascule.

Tu tournes le verrou de la porte.

Enfermés, nous sommes enfin libres.

Je savoure ce travelling arrière, le regard dehors et les pas qui fuient sur le tapis, puis les pas dans la folie de l’éclatant obscur. La récidive confirme le forfait. Ma main dans tes mains, comme dans un cocon, un nid, une protection. Tes mains autour de ma main, comme un asile, un port, une ancre fragile. Je m’étais contenté de vivre, maintenant je regarde un peu plus, tes ongles bien coupés, tes doigts fins et à vrai dire un peu trop… ou trop… mais si précieux : tes doigts à toi pour moi. Le réel me comble. J’avais peur de voir les couleurs, mais l’univers de l’attache est monochrome, il n’y a que la lumière du réel et l’ombre du monde.

Étrange alchimie, ce n’est que la chimie de nous qui brûle : tes doigts comme les miens, seuls, sont si froids.

Mon vilain, tes jeux de mains débordent. Tu explores mes bras, tu laisses divaguer ton index sous ma chemise, loin. Et je me laisse faire, tes deux bras le long de miens, je me fonds en toi, j’inspire bien fort pour ne pas me noyer, tu m’abordes.

Nous sommes encore debout, pressés de se retoucher. Raffoler. Affoler. Cajoler.

Viens derrière moi, dans un pas de danse, bassin contre bassin, tes mains en écharpe, je veux que tu m’enveloppes, que tu me gardes, que tu m’emprisonnes, sois mon geôlier.

Tu me serres si fort… mais je n’ai mal que lorsque tu es loin. Tu me serres si fort… mais l’air ne se fait rare que lorsque tu m’ignores. Tu me colles et nous dansons sur une musique imaginaire. Doucement. Doux ce moment. Tes bras descendent ma piste rouge, celle du cœur, slaloment entre mes seins et viennent presque sagement se caler sur les hanches. Tes longs doigts hésitent à prendre le cap pubien, tu traînes au détroit pelvien, tu échoues sur l’ilium.

J’aimerais que cela s’arrête là, au pied du mur des gémissements. Et repasser la porte d’entrée avec toi sur mon dos, incrusté. T’avoir avec moi dans la rue, dans la vie, comme un nouveau cartable.

Tu me voulais dévoilée, j’ai cru que tu me voulais nue. Peut-être ne voulais-tu que prendre la place du voile…

Je t’aime grand, je m’aime petite. Volte face.

Mes bras, mes jambes, j’aimerais tous mes membres à ton cou, me pendre, me laisser prendre.

Face à face, ma bouche caresse ta joue, mon nez respire ton cou, j’aime cette dégustation faciale, ressentir l’humide, lécher le salé.

Je n’ose croquer tes lèvres nuageuses, la pointe de ma langue sur ce mystère.

J’aime tes mains fermes sur moi, d’une caresse tu me diriges, ça fait longtemps que tu as ramassé le contrôle que j’ai perdu. Je crois que si tu enlevais tes mains de moi je tomberais, tu es mon tuteur, je ne peux m’épanouir que contre toi, tes doigts me montrent la voie.

Tu m’effeuilles sans t’accrocher aux épines qui maintiennent les tissus, tu cherches mon bouton, j’aimerais tant m’ouvrir.

Mais je referme mon antre : prends le temps, ressens la faim piquer ton ventre, avant d’entrer dans le mien.

Je me décolle, voir tes yeux quémandeurs m’émeut, ton désir est si chaud à mes entrailles.

Il était utopique de désirer tout refaire, pour tout revivre, éternellement. Il nous faut bien assumer et voir plus loin, voir mieux ou voir moins bien, il faut bien continuer à vivre.

J’ai aimé retrouver ta peau, retrouver ta force paisible, mais re-trouver implique d’avoir déjà vécu. Déjà, tu as imprimé ta marque sur moi, déjà, tu as insufflé un manque, un besoin. J’ai perdu mon innocence de toi.

Il était utopique aussi de laisser totalement le monde à l’extérieur, nous avons notre présent en bandoulière. J’ai mon passé imprimé sur ma peau.

Tu peux ne pas le voir, tu dois le savoir.

Que j'allège mon âme…

Je tire une chaise, t’invite : reçois-moi en confession.

Il est loin le temps des confessionnaux aveugles. Je place une autre chaise entre tes jambes, je te fais face, j’assume mon statut de pécheresse, je veux avoir à soutenir ton regard, ce sera mon premier supplice.

Sacrilège multiplié : je m’approche le plus possible, mes jambes autour de ta taille.

Je susurre les mots, parce qu’il ne faut pas réveiller un crabe qui dort.

Pour adoucir l’énoncé, mes mains cherchent à effacer la chemise qui me maintient loin du chaud de ta peau. D’un index ingénu, j’étudie le col, les boutons, l’épaisseur du coton.

Je susurre les mots, il le faut.

Place ta main sur mon bras réparé. Vois le mal.

Ma main gauche, adroite, pionnière dans la conquête du torse, n’a que faire des boutonnières.

La main droite, gauche, profite de l’ouverture mais repousse encore l’instant du contact.

Je ferme les yeux.

Jeux de mains pour te calmer ou jeux de mains pour me détendre, ce passé blessé, ce futur hypothéqué : je te donne ma réalité.

Je me tais, tu ne dis rien.

Mes mains se cachent sous ta chemise, je ne cherche pas tes petits tétons, je ne cherche pas tes poils timides, je te caresse comme on console.

Comprends ma soif de vie, mon excès d’envie, mes désirs d’absolu, de beau.

Je me confesse alors, oui, j’avoue ne pas me sentir coupable : je n’ai pas survécu pour ne pas vivre.

Sois averti, prends-moi juste la main, ne dis rien.

Tes yeux me donnent l’absolution. Je crois que tu en as une nouvelle paire, celles des jours exceptionnels, je ne suis pas certaine de les mériter. Je ne suis même pas certaine de te mériter.

Je me rapproche encore, petit kangourou, mes jambes, mes bras à ton cou.

Mon front contre ton front, tu prends ma fièvre, tes yeux se mouillent de mes larmes. Ta bouche glisse à mes lèvres, doucement, mes paupières abdiquent. Il n’y a plus rien autour, que l’ancrage des bouches. Je perds l’équilibre, je tombe. Dans l’ombre, je sombre. Ta langue, comme une main, vient rattraper la mienne, ce n’est pas un patin de catin, pas une galoche de mioches, pas un palot de marmots, tu inventes pour moi un baiser d’humanité : ta langue qui tangue et me porte, tu insuffles la vie, et toutes ses envies, tu me fais renaître, tu aspires mes mots et tous les maux, tu déposes et tu prends, tu donnes et tu voles, je consens.

Je n’ai plus besoin de respirer, tu es mon oxygène.

D’un baiser, tu embrasses tout mon être.

Merci de ne m’avoir fait que maintenant ce petit rien qui prend signifiance.

Et tant pis pour les conséquences, cette histoire, depuis longtemps il me semble, nous dépasse.

Tu m’as tant donné, déjà.

J’ai faim mais demain me fait moins peur.

Je me dégage de l’étreinte.

Tu comprends, tu regardes la porte, plus besoin de verrou : je te reviendrai.

Le gouffre entre réel et rue devient énorme, je saute, allégée, je m’envole.

J’ai survécu pour vivre toi.

Mes pas martelant le pavé trahissent mon ivresse, impossible de reprendre le rythme des autres. Puis le silence, le vent dans les arbres nus : je plane. Les marronniers s’autorisent de verts bourgeons, il y a encore de la sève dans les vieilles branches.

Je croise des squelettes. Une vieille dame, cheveux gris cachés sous un chapeau de feutre, promène une laisse. Elle tourne la tête, lève la main pour me saluer et se ravise en fronçant les sourcils.



 





J’ai poussé cette porte, un jeudi.

Je suis pressée, je regarde partout comme si j’avais oublié quelque chose, il y a dix minutes, c’est-à-dire l’année dernière.

J’ai jeté ma veste sur le banc. Pars au sol, parapluie. Part de lui, paradis. Où luit l’astre ténébreux ? Je laisse ma veste, mon écharpe, quitter une panoplie pour une autre, devenir ton rêve vécu, ta mine, ce gisement précieux bien caché, tout au fond. De l’autre côté de la vitre, il n’y a que des regards glissants, fuyants, je me déshabille pour ton regard luisant, pénétrant.

Je laisse derrière moi le chaud et le froid, des sensations, en fermant la porte, j’entre dans le vivre.

Sur la table deux verres, deux rondelles de citron vert qui se noient de ne pouvoir se toucher. Tu as pris de l’avance.

J’avance. Un pas après l’autre. Pas assez vite. Chaussure fatiguée, chaussure abandonnée, j’avance vers toi pieds nus. Le carrelage est si chaud de mon attente que je le sens sous ma plante mourant en sable, je veux avancer mais je fonds, je glisse, fange, délices. Je te vois. L’éclairage artificiel de la ville colle aux êtres un teint blafard, la lumière naturelle de ton regard sait redessiner mon visage mieux que tous les maquillages. Dans tes yeux, je ne me sens pas belle, je me sens celle et c’est mieux.

Restent trois mètres entre nous. Ne pas les combler pour mesurer la force d’attraction, entendre l’envie qui gémit, écartelée.

Pluriel encore singulier, notre duel est d’étoffes. L’idée chaleureuse du proche fait s’ouvrir les boutons, la chute caressante du tissu fait durcir les tétons.

Deux arbres à l’automne se font face, nous ne sommes pas fait du même bois, étourdissantes différences d’essences, enivrantes défiances des sens, au tronc dans ta forêt répond l’onctueuse mousse de mes fourrés.

A nos pieds une flaque de vêtements, une enjambée pour s’en dégager, un pas pour tes bras.

Un courant d‘air me porte vers une table accueillante à mes fesses, je serai ton plat de résistance aujourd’hui.

La soif d’étreintes n’est pas encore étanchée, je veux encore tes bras autour de moi, encore.

Rattraper, ne pas te laisser partir. Attraper, catcher, catch me.

Quelque chose barre le passage, ton barreau pas sage, avec en avant sa petite tête chercheuse, rosie de désir. On voit à son petit sourire que l’innocence est feinte, on voit que sa fente en appelle une autre.

Inutile de faire les présentations, viens, entre sans frapper, je t’attendais.

Ton sexe complète mon puzzle. Ma pièce manquante. La porte était ouverte, la barrière de mes lèvres franchie, tu pénètres et conquiers dans une ferme douceur et tu peux alors refermer tes bras derrière moi, paisiblement. Mon étalon dans son corral n’a plus à s’en faire, prisonnier volontaire, dans l’humide des chairs.

Cet instant de tendresse me laisse savourer l’idée autant que le geste : mon vagin qui épouse ton bout, ma matrice qui se reprogramme doucement, qui se tortille, qui s’adapte, qui s’ouvre avec ton sexe qui s’épanouit en moi, qui s’épanouit d’émoi. Le plaisir du ressentir souffle un frisson dans mon dos : enfin tu es en moi, pour quelques secondes tu es à moi. Qui possède vraiment l’autre, du pénétrant ou de l’encerclé. Ta bite en otage, je pourrais l’étrangler, je pourrais ne pas te la rendre. J’ai bien fait d’attendre, au-delà de la douleur du désir repoussé, au-delà de la folie d’un vouloir raisonné.

Aucun verbe ne sera plus grand que donner et prendre à l’indicatif présent : je me donne à toi, tu me prends. C’est tout, enfin nous formons un tout. Tout l’univers gravite autour de ces centimètres de contact intime, on ne s’enlace que pour ne pas tomber, que pour se faire croire qu’il n’y a pas que cela au monde : l’union simple et sublime de deux êtres ramenés à leur sexe.

Et il n’y a plus que cela qui compte, je rejette au loin ma tête, la poitrine où se cache un cœur.

Toi aussi tu te transformes, sans doute cherches-tu, le reste du temps, à te dompter pour mieux savourer les transgressions, les abandons. Tu laisses loin aussi ceux que nous devrions être, tu t’accroches à mes hanches pour mieux voyager, pour mieux que j’affronte la tempête sans doute aussi, avec toi dans mes cales. Je pourrais traverser tous les océans, avec cette quille fichée en moi, elle résiste à tous tes coups de reins. Et ça tangue.

Coque malmenée, carène écorchée, flancs entaillés.

Je crois que nous crions, mais le vent souffle trop fort pour que je t’entende, l’écume fait perler des gouttes sur ton front. A bout de souffle, tu aspires mes râles pour les étouffer. Je suis mâle menée, j’aime l’imposition de tes mains, le rythme imposé de tes reins, mes seins ballochent, mon cœur s’affole, remplis ma fiole de ton élixir, dépose en mon fond l’antidote à mon venin de scorpion, mon lion.

Dispose, dépose, entrepose, ose, mon magicien, viens…

Comme ça.

Oui.

Toujours j’ai maudit, les avants, les après, les semblants âpres. C’est sans doute dans un réel authentique que ces instants trouvent leur préciosité. Non, je ne ramasse pas ma culotte qui traînait lamentablement sur le carrelage. Nous refaisons juste à l’envers les gestes qui nous ont conduits à ce partage. Les vêtements sont nécessaires pour cacher au monde la réalité dans laquelle tu as pris pied.

Pour passer le gué entre le réel de l’intérieur et la rue, je relève le bas de mon pantalon.

Je cache mon visage de mon écharpe. Mon teint rose d’aise doit se confondre avec les dégradés du coton. La circulation échevelée me recoiffe, je redeviens une parmi d’autres.

Dans mes entrailles finissent de mourir tes soupirs. Je demande aux marronniers de se taire : ils envoient sur le sol bogues vertes et bogues sèches pour jouer la partition de l’union.

Je croise des squelettes, une vieille dame, cheveux de paille coincés sous un chapeau gris se fait promener par un chien guide d’aveugle. Je la croise, elle me sourit.







J’ai poussé la porte, un jeudi.

Ça fait une heure que tu as commencé le compte à rebours, des siècles que tu m’envoies, chaque millénaire passé séparés, un message sur mon téléphone à cadran solaire. Je profite d’une éclipse pour te voir.

Je laisse ma veste et mon sac sur le banc qui finit d’aspirer les poussières de voile. Je garde encore un peu mes lunettes de soleil, que je me fasse à ta lumière. Je regarde encore un peu la rue, pour ressentir le vertige de la chute dans ton réel. A regarder tous ces semblants, toutes ces esquisses déjà usées qui déambulent en portant le deuil de leurs désirs profonds, me vient la nausée. Le choc thermique embue la vitre, je plonge, en bulle, vite.

Je bois mon premier verre d’un trait, je m’y fais. Je suis faite.

Ton sourire découpe l’ombre, tes yeux endorment ma méfiance, doux aimants qui m’attirent. J’aimerais regarder encore dehors mais je ne vois que ton corps, allongé, dans une nonchalance chaloupante, d’une décontraction aguichante, dans l’abandon d’une nudité désarmante, mais bel et bien armée. Si belle, ton arme blanche de l’ombre.

Chaque pas vers toi me coûte un vêtement. Je m’allège et pourtant je suis ralentie, le poids de mes désirs sans doute. Il devient très difficile d’avancer, mes genoux flagellent mais je ne changerais pas ma route. Déroutée, mais certaine de la destination. Mon sac à fantasmes devient intransportable, je le tire au sol et le dépose à tes pieds. Je demande asile, je t’implore, mon grand, je te baise les pieds, je te mordille les orteils : accueille, cueille, je laisse là mon orgueil.

Ton regard me libère de tous les jugements qui me classifient, tes yeux ne prennent que ce qui est moi. Allégée du faux, je sens mes pieds quitter le sol, ils s’en faut peu pour que je m’envole, mes bras qui s’ouvrent vers toi dans l’élan des retrouvailles m’entraînent, je bondis et je me retrouve à cheval sur ton long. Amazone, je m’empale. Ton pal ne ment pas. Un geste fluide à s’en boucher un con. Je resterais bien ainsi, droite, sage, assise à une place qui est devenue mienne mais tes poils agacent ma raie, je gigote, je trotte, je galope sur toi, sans jamais défaire la pine à mon cyclope.

La blessure de ta piqûre me tire des larmes. Je viens vers toi, ton torse devient ma couche : lèche le sel de mon plaisir qui s’écoule sur ma joue.

La brûlure de ta lame se fait moins folle à mes entrailles.

Tes mains quittent ma crinière. Arrêt sur ma poitrine qui joue au pendule. J’ondule sur toi, tic, tac, j’ondule, tic, tac, les jumelles battent la mesure. Mes seins dans tes mains comme pour les empêcher d’égrainer le temps, de secondes en secousses, comme pour suspendre l’instant. Je retiens mon souffle. Mon séant colle à ton insolent. Yeux dans les yeux, nous bloquons notre respiration jusqu’à l’étourdissement, dans un combat de pupilles, dans un ébat d’estourbilles, repoussant au maximum l’après. Tenter de rester dans un présent suspendu, saliver éternellement.

Tes mains libèrent mes seins, au-dessus de toi recommence doucement leur valse, le temps de la folie a repris. Tes mains délaissent mes reins, tes mains éreintent mes fesses.

Malaxe, malmène, fais-toi mâle.

Tes bras entiers partent en chasse, ton index à l’affût. Le majeur sait bien lui, où se cache la bête qui sommeille en moi, il a déjà repéré l’entrée de la tanière des ténèbres. Ton majeur est à mon trou, ta bite dans l’autre comme un doigt sur mes lèvres pour empêcher ma chatte de protester.

Oui, viens là aussi.

L’attente pour le plaisir, le plaisir aussi dans l’attente, j’aurais dû prévoir que trop de soupirs écarteraient ton doigt, mais on ne vient pas impunément à cette porte-là.

Ton doigt qui s’en va dégoupille la grenade, tu déclenches une tornade insoupçonnée.

Ton doigt me met hors de moi : toute mon énergie, toute ma folie désespérée s’échappe par mon cul libéré, mon ventre se vide par mon trou débouché, une fuite de stupre s’écoule par mon tuyau ouvert.

Mon enveloppe comme un ballon qui se dégonfle libéré de ton entrave, je m’envole à mon corps défendant, dans un réflexe tu m’attrapes les chevilles, mais la force de mon désir te soulève aussi. Nous valsons en lévitation. Aspirés dans un étrange tourbillon. Tu t’accroches et remonte doucement le long de mes jambes, varappe sans dérape, tes doigts entre ménisque et rotule, tu te hisses, pubis, tu te glisses, langue au clitoris, pour me calmer, contrer l’ouragan.

Irradiante tentative, mais si naïve…

Ça souffle si fort, accroches toi bien à mes hanches.

Le vent manque de nous séparer, ta main à mon poignet te ramène in extremis à mes reins. Tu manges mes cheveux, croque moi le cou s’il le faut. Une rafale, on s’emballe. Je commence à manquer d’air, avec l’altitude, tes gémissements m’inquiètent. Affrontement des forces d’attraction, je te veux, tu me veux, le moment repoussé à l’extrême, on se frotte on s’effleure et l’on repousse encore un peu, tu t’éloignes, tu t’approches, amants aimantés, il va bien falloir céder, concéder au réel, vivre.

Mes cuisses s’épanouissent, je m’ouvre, totalement.

Viens.

Étends loin les bras, plonge en moi.

Je m’ouvre encore plus, pénètre tout entier en moi.

Tes mains jointes à mon vagin doucement s’écartent dans un mouvement de brasse, tu trouves place en moi, ta tête au col, un battement de pieds et tu es en moi, tout entier.

Tu m’habites, tout entier.

Tu vrilles en moi, je vibre de toi.

Le vent.

Un cri.

Nos respirations en cadence, puis le silence.

Le chant des oiseaux, le fuyant écho des vagues d’un océan apaisé, marée descendante.

Doucement je reviens au sol, la tête me tourne dans ta bulle, tourneboulée.

En ramassant ma jupe, je trouve une paire de tes yeux, mielleux, que le vent a du t’arracher. Égoïstement, je les cache dans mon sac, qu’ils ne puissent ravir personne d’autre, que personne ne puisse non plus dire ce que tu as vu.

La plage est jonchée de bois flotté ramené par la tempête.

Pour franchir le gouffre de la porte il y a maintenant un passeur, qui a fait d’un tronc une barque de fortune. Entre le réel follement vécu et le deuil de la rue, il y a tant de courants contraires que des remous rendent la traversée périlleuse. Je tangue, j’ai des hauts le cœur.

Un saut sur la rive pour éviter l’appontage. Je fais de mon mieux pour ne rien laisser transparaître. Redevenir transparente, après la transe part l’être pour ne demeurer que surface.

J’essaie de rejoindre le commun, de rejoindre les mortels. Les racines des marronniers font pleurer les nuages en essayant de chatouiller les avions.

Je croise des squelettes, la vieille dame, cheveux blancs coincés sous un bonnet de laine s’avance sur le trottoir, toute seule. J’arrive à sa hauteur, je voudrais la saluer, elle ne me voit pas, j’avance encore, j’y suis presque…

La toucher jusqu’à la traverser.

Regarder mes mains étrangement ridées.

Lever la tête pour comprendre : dans le reflet de la vitrine du magasin, il n’y a que la vieille

dame.

La réalité froide de la vitre me glace : il n’y a que moi sur ce trottoir.

Je me retourne.

Des bulldozers finissent de transformer ton immeuble en espace vert.



Combien de jeudis t’ai-je attendu ?

 

 

 

 

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