L’A 380 décolle dans une douceur majestueuse.
Nous sommes entre le ciel et la terre, en route vers un ailleurs.
Tu es là.
Le soleil éclaire la tête des nuages qui doivent rendre maussades ceux qui sont en-dessous.
Ici, tout est ouaté.
Soudain, la côté française.
L’Atlantique…
Et après l’Atlantique… !
Je n’ose pas vraiment y croire. Je suis là, recousue, émue.
Je vais faire semblant de croire que tout cela est normal.
En l’air, tout est exacerbé.
On parle de modification du goût. Il faut plus saler, le palais avec l’altitude ne ressent pas les goûts comme sur terre.
Dans l’air, on est définitivement ailleurs.
L’alcool me fait planer encore plus haut. Une dose et je m’envole…
J’ai bien fait d’accrocher ma ceinture !
Je pleure toujours dans les avions.
Qu’importe le film, comédie romantique ou dramatique, je pleure.
Avec l’altitude, les échos sont plus forts.
Même quand j’écris, je pleure.
Penser à la finalité de l’écriture : laisser une trace, faire croire que j’existe.
Je pleure.
En apesanteur.
Je crois qu’ils diffusent du gaz dans l’air climatisé.
Tu es à mes côtés.
Je t’aime.
Musique.
J’écoute l’album « Alors Regarde » de Patrick Bruel et je pleure encore.
L’altitude je vous dis, le produit dans la clim…
La version studio, la version originale de 1989.
Que j’ai écouté à en user la bande, du temps des cassettes et des walkmans.
Que j’ai écouté jusqu’à en racheter la version CD à la naissance du petit disque argenté.
Je reviens 25 ans en arrière.
Dans ma chambre chez mes parents, dans ma chambre d’étudiante, foyer SNCF, chambre 8720.
Tu te souviens ?
Je monte le son et je pleure.
Je ne suis pas forcément triste, je ne suis pas forcément nostalgique, ils diffusent de l’exhausteur de sentiments dans la clim, je vous dis !
« alors regarde, regarde un peu… tu verras tout ce qu’on peut faire si on est deux... »
J’étais toute seule avec mon amour.
A courir chaque matin vers la boite à lettres.
Dis- moi que cela a existé !
Fais-moi entendre ta voix !
« Flash-Back »…
Je monte le son. Je pleure encore.
Merci à mes voisins de faire semblant de ne rien voir.
C’était bien…
MON histoire.
« Tu vois si on s' raconte tous notre vie,
C'est qu'on croit que c'est pas la même que celle des autres… »
« J’te l’dis quand même.. »
C’est pas comme ça que je vais cesser de pleurer. Je me souviens avoir quitté un homme avec qui je n’étais pas . Dominique. Que j’ai cessé d’aimer avant que commence notre histoire. Un aveu qui mit quasiment fin à notre amitié. Sans aucun regret. Comme chaque décision importante que j’ai pris dans ma vie : une évidence. Facile et nécessaire.
Allez…
« Je sais bien que j’t’l’ai trop dit », même si tu n’étais pas là pour l’entendre : je t’aime.
« on s’était dit rendez-vous dans 10 ans »
Et 25, ça marche ?
« Qu’est-ce que j’ai fait de ces années ? »
Qu’est-ce que ces années ont fait de moi ?
« T’as pas changé, qu’est-ce tu deviens ?
Tu t’es marié t’as trois gamins »
Ou moins…
Je regarde la pochette de l’album.
La tête juvénile de Patrick.
Imaginant la mienne de l’époque.
Les billets de concert reprenaient cette pochette. J’en ai fait. Deux dans la région et un au Zénith, à Paname.
Papa m’accompagnait, j’étais trop jeune pour y aller. Qui va seul(e) au concert ? Merci à lui pour ces moments où je n’avais d’yeux que pour un autre. Merci pour ces moments où je me souviens m’être sentie vivante.
Je ferme les yeux et tout me revient, tout se mélange, par bouffées, à couper le souffle.
On approche de JFK.
La tour doit nous avoir mis en attente, on tourne, on tourne, on tourne… Il y a des turbulences.
J’écoute Patrick à fond les écouteurs, je ne pleure plus, je gigote sur mon siège.
Avec un petit sourire aux lèvres : si on tombe ( à cours de kérosène ?) je mourrais en écoutant cet album sans savoir, au dernier moment, si je suis en 2016 ou dans les années 90.
Nos années.
Mes années.