Et je vis descendre les nuages sur le monde,
comme on pénètre doucement dans la ouate.
Et je vis les nuages enrober le monde
de leur sucre aérien,
à la barbe du monde, l'enrober de barbe à papa...
Moi, à la terrasse de ce café au bout du monde
à boire une bière en haut du monde
à 68 degrés de latitude Nord
de quoi perdre.. le Nord ou la tête...
ça donne le vertige de voir notre monde d'un bout de la lorgnette
mais j'aime prendre ce recul,
rester à la marge,
me tenir en équilibre,
reculer le plus loin possible
pour observer la Terre.
A cette terrasse je ne voulais que profiter,
du rien,
du silence,
percer le mystère des rayons d'un soleil qui ne réchauffent pas.
Peut-être pensais-je trouver la clé
qui enferme les mélanocytes loin des dégâts de l'astre.
Non, je crois que je n'attendais rien,
espérant que si on ne l'attend pas, la fin du jour ne viendra jamais
espérant que si on ne bouge pas, la mort finira pas nous oublier
et pas que la mort, toutes les obligations de la vie aussi.
J'ai voulu un instant m'oublier,
que l'on m'oublie,
ne plus bouger,
juste ma cage thoracique qui imperceptiblement se soulève,
juste ma cage
et m'évader...
Et puis j’ai vu les nuages dégouliner
je ne sais quelle force les avait menés au sommet.
Dans une avalanche lente et muette, ils descendaient l'adret
en hurlant « never come back »
ne jamais revenir en arrière, oublier l'ubac.
Ils dévoraient la paroi,
ils semblaient même la déguster,
lentement mais avec gourmandise, de grosses bouchées.
Leurs joues gonflées, les nuages descendaient vers moi.
C'était un spectacle hypnotisant,
on voyait la lutte,
on voyait la vie,
la terre qui respire,
les éléments qui tentent un mélange...
Il faisait si beau
et les nuages jouaient à saute-montagne.
Qui allait gagner ?
Délicieux équilibre, subtile déséquilibre, entre l'altitude, les températures et l'humidité de l'air.
Je regarde ce spectacle rare et pourtant si simple, jamais banal pour qui a mes yeux,
quelques secondes pour toucher du regard l'éternité,
l'intemporel
léger, sublime, subtile, subliminal...
Aux premières loges, je retiens mon souffle pour ne pas influencer leur trajectoire,
je retiens mon souffle et j'attends qu'ils me prennent.
Ils avançaient vers moi, les nuages.
Et j'avançais vers eux.
Me jeter dans leur brume comme je m'abandonne dans tes bras
me désaltérer à l'écume des désirs d'absolu
voir la lumière dans le noir
j'avance
j'ai le cœur dans les nuages
j'avance sans peur
jusqu'à la trouée dans les nuages
la clairière de bonheur
mon nid, notre lit.