J'ai caché dans ma tête
Mes angoisses, mes défaites.
J'ai mis au fond d' mon cœur
Tous les soirs de rancœur.
J'ai donné des sourires
Quand j'avais rien à dire.
J'ai joué tel'ment d' fois
Des rôles qui m'allaient pas.
J'ai maquillé mes yeux,
Inventé des ciels bleus
A qui voulait comprendre,
A qui voulait m'attendre.
J'ai cherché d' la tendresse
Mais sans laisser d'adresse.
Aujourd'hui je suis là
Avec au fond de moi
Deux faces, deux faces,
Envie d' se retrouver de face,
Deux faces, deux faces,
Celle que tu donnes, celle que tu caches.
Si je suis devenue adulte, c'est que je peux enfin assumer ce deuil, le regarder en face, sans l'ignorer, sans me voiler la face. On peut être attachée au passé sans en être prisonnière, lien constructif qui jamais n'enchaîne, armature, pas armure.
Je regarde donc hier sans être passéiste, je garde hier pour connaître demain.
Et que reste-il d'hier ?
Boudin, le lapin.
Il porte sa croix aux oreilles, il porte la marque de moi. Quelques points de suture ne cachent pas l'horreur : je l'ai amputé, mutilé. Emasculé ? En toute conscience, j'ai coupé les oreilles de Boudin, à quatre ans. Je n'en pouvais plus de ses oreilles qui cachaient ses yeux. Alors j'ai coupé. Et maman a crié, et maman a immédiatement recousu pour éviter l'hémmoragie. Et j'ai pas compris.
Première leçon, première amertume dans la bouche : le monde dont je rêve n'existe pas, je dois me conformer aux visions communes. Un lapin doit avoir des oreilles, il en est ainsi et ne t'avise pas, Jeanne, de refaire le monde avec une paire de ciseaux !
L'adultie repousse la mort tout en ravalant des désirs de vie.
