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  • annus horribilis

    L’année scolaire 2020-2021 s’achève sous une pluie battante.

    Il pleure dans mon cœur
    Comme il pleut sur la ville ;
    Quelle est cette langueur
    Qui pénètre mon cœur ?

    Je traverse la cour du collège déserté.

    collège.jpg

    C’est étrange un collège silencieux.

    Un décor familier qui m’a toujours rassurée, comme si je n’étais jamais entrée dans la vie, comme si je n’avais jamais grandi, venir et revenir encore au collège.

    Comme rester adolescente, revenir à l’avant-toi.

    Ô bruit doux de la pluie
    Par terre et sur les toits !
    Pour un cœur qui s’ennuie,
    Ô le chant de la pluie !

    Je traverse la cour sans cris, sans courses-poursuites, sans bousculades.

    On dirait un décor surréaliste de cinéma, toute vie a disparu, on se retrouve avec soi.

    La pluie aujourd’hui me recentre sur moi.

    Je sens le froid, je sens l’humide, je suis en vie.

    La pluie échoue cependant à effacer les blessures, à combler les cicatrices de cette annus horribilis.

    Il pleure sans raison
    Dans ce cœur qui s’écœure.
    Quoi ! nulle trahison ?…
    Ce deuil est sans raison.

    Je traverse la cour et retiens mon souffle.pluie.jpg 

    Est-ce vraiment fini ? Sommes-nous vraiment en juillet ?

    Est-ce que cette année a vraiment été particulière ?

    Suis-je vraiment fatiguée, éprouvée, à bout ?

    Je n’avance pas, j’erre.

    «  Ce deuil est sans raison » … Vraiment ?

    L’année scolaire 2020-2021 ?

    En septembre un deuxième mélanome m’est annoncé, un duel s’en suit entre le bistouri et la faulx. J’encaisse et j’avance, je n’en ai pas fini avec toi, je n’en ai pas fini avec moi.

    Fin octobre je mange pour la dernière fois dans un restaurant de Dinard avant un nouveau confinement. Des huîtres tristes pour célébrer l’enterrement d’une vie faussement retrouvée.

    Début novembre au collège on se tait une minute pour un professeur d’histoire décapité pour ce qu’il est, j’ai mal à ma République.

    Nouveau protocole sanitaire, les cours sont maintenus mais les élèves ne doivent plus bouger, plus rien toucher, et se masquer encore et encore. Les professeurs s’adaptent.

    En décembre mon gynécologue décède des suites du Covid. Il n’est pas le seul, certes. Chaque année il aimait me parler de ses patientes ayant eu un mélanome il y a parfois plus de vingt ans, il aimait me dire que j’allais vivre … et il est mort.

    En février ma cheffe d’établissement décède des suite d’un mélanome. Ces deux dernières années de vie furent difficiles mais elle n’a jamais voulu cesser de travailler, nous la voyions toujours amoindrie mais toujours là. Jusqu’au jour où…

    Le mélanome tue, je l’avais oublié.

    En avril on nous avance les congés scolaires, bye bye les projets, deux ridicules semaines à distance et l’on recommence.

    L’année scolaire va se finir dans la sidération avec automatismes et abnégation. Avec les masques qui cachent les émotions, qui gomment les identités, nous avons continué à avancer.

    Même sur les genoux, avec des changements de protocole, l’absence de consignes, le manque chronique de moyens...

    C’est bien la pire peine
    De ne savoir pourquoi
    Sans amour et sans haine
    Mon cœur a tant de peine !

    L’ambiance des cours fut cependant paisible cette année, tout le monde passe en année supérieure, tout va pour le mieux dans le plus horrible des mondes.

    Peut-on s’adapter à tout ? Au manque de liberté ? Au manque d’humanité ? À l’absence de contact ?

    Je traverse la cour, il pleut.pliue 2.jpg

    Je ne me rends pas compte que tout cela est fini, qu’on va pouvoir tourner la page.

    Oui, mon cœur a de la peine ; oui, mon cœur s’ennuie ; oui, mon cœur s’écœure.

    Je dois digérer.

    Cette année j’ai trébuché, maintes fois, je me suis relevée et j’ai avancé.

    Je suis fatiguée, courbaturée mais chaque douleur me rappelle que je suis en vie.

    Je vois ma poitrine se soulever, je reprends souffle.

    Je vois ma poitrine pulser, mon cœur bat, je suis lasse mais je suis là.

    "Allez, bonnes vacances !"

    Je vais aller au pied d’un volcan prendre le pouls de la planète.

    teneriffe.jpg

    Je repenserai à cette année, pour m’en nourrir, et j’attendrai.

    Je t’attendrai.

    Fermant les yeux sur l’annus horibilis, je rêverai de l’anus mirabilis.

    Paul Verlaine
    Romances sans paroles (1874)

    Jeanne Magnani
    Paroles sans romance ( 2021 )